Comme vous le savez, le débat fait rage autour de
la PMA pour les couples de femmes. Nous ne parlerons pas de politique, nous n’entrerons
pas dans le débat actuel qui n’a pas sa place sur ce blog en l’état actuel des
choses.
Ainsi, je ne donnerai pas de position politique,
de consignes ou autre ; malgré tout ce débat pose pleins de questions d’ordre
historique. Un député de la majorité a déclaré qu’il « n’y a pas de droit
de l’enfant à avoir un père » ce qui a provoqué une « levée de
boucliers » (comme aiment à dire les médias), certains et certaines s'insurgeant sur des propos « barbares » ou scandaleux.
L’émotion au détour d’une phrase, spécialité des
réseaux sociaux où l’on s’indigne 6 fois par jour, où l’on signe des pétitions,
où l’on donne son avis, tout ça peut être compréhensible. Mais on y réagit souvent émotionnellement, sans forcément prendre le temps de réfléchir un instant car tout va très vite sur Twitter, Facebook, etc.
Sur ce sujet, d’un point de vue d’histoire de la famille,
de la généalogie, où en est-on ?
Un enfant peut naître de père inconnu et mère
connue, de père connu et mère inconnue (rare étant donné les circonstances de l’accouchement, mais possible)
ou de père et mère inconnus.
Un de mes arrière-grands-pères, Auguste Sastrel,
a été trouvé chez des religieuses à Chiffalo (Algérie) au début du XXe
siècle. Parents inconnus. Un de mes aïeux plus lointain est fils de père
inconnu. On a tous des cas comme ça.
On a tous vu passer un acte d’un enfant de l’hospice,
de l’assistance, « enfant de la patrie », etc. Ces enfants n’avaient
pas de père. Aujourd’hui encore. Parfois pas de mère non plus.
Est-ce que la société en était « barbare » ?
L’est-elle toujours ?
Tout ce que l’on sait, c’est que ces enfants ne
sont pas nés dans des choux. Qu’ils ont des géniteurs. Mais le géniteur ne fait
pas le parent. Aucun homme n’est à l’abri d’un écart de la part de son épouse.
De même, l’homme avec qui elle fait l’écart peut être marié, être père de
certains enfants et géniteur d’autres.
C’est pour ça que la filiation, chez l’Homme, est
un mélange de nature et de culture. Il y a forcément des géniteurs (même les bébés-éprouvettes
ont des gènes venus de ceux qui les transmettent : les géniteurs). Mais si
la filiation, en général, suit cet aspect si évident de la biologie, la société
en fait ce qu’elle veut. Nous nommons les choses, les concepts. Nous pensons,
avons un esprit critique, etc. Malgré l’amour que vous pouvez avoir pour votre
chat, il est peu probable qu’il vienne vous voir un jour et vous dise
tranquillement : « Je pense, donc je suis. »
Ainsi naissent des enfants de père inconnu. Dire
qu’un enfant a « le droit à un père » ce n’est pas pareil que de dire
qu’un enfant a « le droit d’avoir un père ». Le premier est
opposable. En somme, tout enfant de père inconnu pourrait exiger devant la
justice qu’on lui attribue un père sous peine de sanctions envers la
collectivité. Comme le « droit à un travail » obligerait la société à
fournir un travail à tout le monde.
Par contre, on a le droit d’avoir un père. En
somme : c’est légal d’avoir un père, mais on n’est pas obligé d’en avoir
un.
Le droit à un père peut se trouver, probablement,
dans diverses sociétés à travers l’espace et le temps (je n’ai pas d'exemple à apporter ceci dit).
Mais peut-on dire que le monde chrétien de l’Antiquité
tardive à nos jours est barbare parce qu’il y a des enfants qui n’ont pas de père ?
Que l’occident contemporain l’est ?
On trouve ainsi des enfants de père inconnu sous
l’Ancien Régime qui n’ont pas de nom de famille (patronyme = nom du père)
car ils n’ont pas de père. Certains prennent le nom de la mère. D’autres se
trouvent avec un nouveau nom (on trouve « Blanc » assez fréquemment,
mais parfois des noms plus originaux) bien que la mère ait son propre nom !
La filiation, le nom, est en partie une
construction que l’on établit dans une société. On peut en être conscient ou
non.
J’avais déjà parlé de ce sujet jadis sur ce blog,
avec le problème de la filiation en généalogie. Je me souviens avoir brièvement
parlé d'une société, toujours existante, en Chine, les Na. Société où le mot « père »
n’existe pas, ni celui de « mari ». La filiation y est très
différente de chez nous, la maison étant celle des femmes, les hommes vivant
chez leur mère, sœur, nièce. Ils n’ont pas d’enfants. Du moins au sens où nous l'entendons.
Ils sont pour beaucoup géniteurs d’enfants extérieurs, mais en aucun cas pères.
Est-ce une société barbare ?
Les Grecs anciens avaient aussi leurs systèmes.
Un homme marié pouvait refuser d’être le père de l’enfant de sa femme et allait
le déposer à un endroit avec plus ou moins de passages pour qu’il soit
éventuellement recueilli par des passants. L’enfant était « exposé ».
On est toujours partagé, en généalogie, quand il
y a des cas adoptés. Savoir qui est le géniteur de l’enfant peut être très
intéressant. Mais connaître le grand-père du géniteur ? Si le géniteur n’a
aucun rapport avec l’enfant, si la mère n’a jamais parlé de ce géniteur, est-ce
que le grand-père de ce dernier a un intérêt ? Rien n'a été transmis dans l'éducation, dans les biens, dans les souvenirs, aucun lien à part une partie génétique.
Biologiquement, oui ça peut avoir un intérêt, puisque c’est génétiquement
un ancêtre, mais un arbre généalogique purement génétique, c’est différent. On
crache dans un tube, on paie 100$ et voilà.
D’un autre côté, faire l’arbre généalogique d’un
parent adoptif ou d’un beau-parent qui a élevé l’enfant peut aussi poser
question. Après tout, ce ne sont pas des « ancêtres génétiques » et
notre côté biologisant s’interroge.
L’état-civil n’a pas pour but de « dire la
nature », mais d’établir un document officiel pouvant servir juridiquement.
Il n’a pas à être biologiquement vrai ou vraisemblable. Ce n’est pas un
compte-rendu médical ou les résultats d’une radio dentaire ; c’est un
autre « objet ». La loi pourrait rendre l'état-civil exclusivement biologique ; mais ce serait la loi, donc théoriquement la société, qui donnerait cette place à la biologie et qui pourrait, de fait, la reprendre.
En conclusion, cet article a eu pour but de
montrer que l’histoire occidentale, mais aussi dans d’autres sociétés, n’établit
pas de force un lien paternel qui transcenderait la société. Que, si on a tous
des géniteurs, on n’a pas forcément tous un père et/ou une mère, que ce soit ou
non malheureux ; c’était pareil durant l’Antiquité, le Moyen-âge, l’époque
moderne et encore aujourd’hui. La filiation, outre la question de l’enchaînement
biologique, est une affaire de reconnaissance entre les parents, l’enfant et la
société ; la société peut rendre un homme père juridiquement d’un enfant
biologique (illégitime par exemple, via une décision de justice) ; l’enfant
peut refuser de reconnaître son père et le père l’enfant (même si on est
obligés juridiquement, on peut refuser personnellement le lien ; ainsi si
Jean-Pierre Foucault est votre cousin au 15e degré, il est peut-être
juste un cousin généalogique et ne va pas forcément vous envoyer une carte à Noël
avec « cher cousin », même si vous lui dites que vous l’êtes - c'est le principe de reconnaissance entre les deux personnes du lien de parenté).
On a pu aussi voir le fait que la phrase de ce
député, même si elle peut réveiller émotionnellement une sensiblerie ou sincèrement choquer des gens, est
correcte et tout à fait défendable historiquement et surtout, juridiquement
(imaginez que chaque enfant de père non dénommé, enfant abandonné, etc. exige devant
la justice qu’on lui attribue un père… et du coup, quel père ? le géniteur ?
un homme au hasard ?).
Mon but, avec ce modeste article, était de parler
de manière dépassionnée de ce brûlant sujet. J’espère avoir été juste dans mes
propos ; n’hésitez pas à poursuivre la discussion dans les commentaires.
Je préviens juste qu’en cas de débordements, des commentaires pourraient être
supprimés, non par désir de censure, mais par souhait d’apaisement sur un blog
qui n’a pas de vocation partisane en politique.