samedi 15 juillet 2017

Une lettre de Vincent Monchicourt

Préambule : Ce billet fait partie du RDV Ancestral qui a lieu tous les mois, mêlant littérature et généalogie. Cette lettre est donc inventée (oui, je le précise, on sait jamais) dans le cadre de ce challenge.

"Cher descendant, cher Thomas,

Je t'écris cette lettre sur le coin d'une table, mais je dois repartir incessamment, ma famille m'attend pour les finitions du grand tableau qui doit trôner dans notre salon. J'ai bien reçu ta missive et je vais essayer de te conter cette partie de ma vie qui te paraît mystérieuse.

A même pas 20 ans, je fuyais la France et passais en Autriche. Tu te demandes pourquoi ? Pourquoi fuir ? Les français ont commis des crimes, de nombreux crimes. Qu'ils aient fait la révolution est une chose, mais qu'ils s'en soient pris à des innocents en est une autre.

A Valenciennes, je vendais des toilettes pour dames et mon succès faisait la fierté de la famille. En tant que cadet, je n'avais pas hérité de la cense familiale, mais mes parents m'ont aidé à fonder mon commerce. Je quittai donc Marly pour Valenciennes. Là, mes affaires florissantes m'ont fait rencontrer des familles que tu dois connaître : les Patte, les Flory, les Daulmery, les Rhoné, et tant d'autres. Ils m'acceptèrent rapidement. Il faut dire que mon oncle maternel, Albert, avait épousé une Patte et que tous les négociants de la place connaissent les Monchicourt pour deux raisons. La première, c'est que nous possédons des censes et que tous les négociants ont des censiers dans leur famille. La seconde, c'est notre nom qui nous associe à la famille de Manchicourt, l'une des plus vieilles de la région. Je ne vais pas te mentir, je ne sais pas si nous descendons directement de ce seigneur qui se maria au XIIe siècle à une demoiselle de Béthune. A vrai dire, je m'en moque car je défends un honneur bourgeois. Alors, pourquoi suis-je parti pendant la Révolution ?

Il n'a pas été facile de voir ses amis soupçonnés, de voir Valenciennes envahie par l'Autriche. Alors je suis parti, j'ai quitté cette terre, celle de mes ancêtres, pour partir à Vienne et y enseigner le français. Pendant ce temps-là, alors que mon nom figurait parmi la liste des émigrés, l'on s'en prit à ce qui deviendra ma belle-famille, les Flory. Ma chère Antoinette n'aime pas parler de cette période où son cousin, le greffier d'Arras, fut guillotiné après un procès où le jury était (et je cite une lettre d'un des protagonistes) "convaincu" avant le commencement du procès "de sa scélératesse". Pauvre Balthazar ! La famille Picavez perdait deux soeurs, religieuses, condamnées à mort pour avoir persisté dans leur "fanatisme" et refusé de quitter l'habit d'ursulines. Un autre Picavez, m'avait-on écrit, a été obligé d'enterrer Louis XVI sous de la chaux puis a été dénoncé comme contre-révolutionnaire avant d'être obligé de s'exiler près de Dijon.

Bref, tu comprendras, cher Thomas, qu'entre ça et le procès qui secoua Valenciennes lorsque les Français reprirent la ville, j'avais bien fait de fuir. Les risques étaient gigantesques. Je craignis pour ma vie à chaque instant. Mais ça en valait la peine.

Lorsque je revins, après la mort de Robespierre, après le procès des notables de Valenciennes, je fus acclamé ! Je pensais que l'on me verrait comme un lâche d'avoir fui, mais je fus considéré comme un résistant et l'on m'assimila presque à ces ducs émigrés. La famille Flory, même si Antoinette n'a jamais voulu me le confirmer, avait certainement fui aussi. C'est pourquoi Jean Baptiste, son père, accepta que je me marie avec sa fille et il me transmit son négoce en vins et spiritueux que je transmis moi-même à mon gendre Auguste Patte.

Tu te demandes pourquoi Antoinette ne m'a rien dit ? Tu sais, fuir son foyer est un traumatisme pour tout le monde. Vois-tu, mes opinions politiques n'importaient pas, ni celles d'Antoinette. Nous étions pourchassés parce que nous étions au mauvais endroit au mauvais moment. On nous pourchassait non pas parce que nous étions contre-révolutionnaires, mais parce que nous représentions, de par notre rang social et de par notre naissance (bien que bourgeoise) l'Ancien Régime. Nous étions persécutés, volés, assassinés. Je n'avais que 20 ans et ma femme aussi, elle qui dut être terrifiée chaque jour qu'on l'arrête, qu'on l'enferme dans ces cachots humides avant de la guillotiner sous les hourras d'une foule en délire.

C'est le principe de la révolution, quelle qu'elle soit : remplacez l'ordre ancien par un ordre nouveau. Je n'en veux à personne, cher Thomas, sache-le ! C'est juste ainsi. D'ailleurs, imaginerais-tu un seul instant que je me suis enrichi grâce à la Révolution ? Le commerce a été libéré et la Restauration des Bourbons n'a rien changé, au contraire, elle a commencé à accentuer cette libéralisation !

Bref, je bavarde, je bavarde, et j'entends au loin ma femme qui crie. Elle m'appelle pour le tableau avec nos enfants. Ca me rappelle une histoire de mon beau-père Flory qui me disait qu'il n'avait pas eu le courage de faire un tableau de famille parce que sa femme lui avait donné trop d'enfants : 14 !! Tu te rends comptes ! Je te laisse imaginer la taille du tableau...

Bon, je file, ma femme commence à s'énerver, elle va faire exploser son corset !

Avec toute mon affection,


Vincent Monchicourt"

En lisant cette lettre, je ne peux qu'imaginer la malice de Vincent, cet aïeul que j'affectionne parce que j'en connais le visage. Je sais qu'il était malicieux car chacun des frères et soeurs de son épouse avait un surnom, visiblement donné par lui. Il y avait le chanoine, le greffier, Théro, etc. mais surtout, il y avait une belle-soeur de Vincent qu'il ne devait pas trop apprécier, car il l'avait surnommée Ni belle, ni bonne...

Oh ! j'oubliais ! Vincent nous a effectivement laissé le fameux tableau. Sans plus attendre, le voici :


3 commentaires:

  1. Oh, la chance d'avoir conservé les portraits de cette famille !
    On aimerait tous recevoir une lettre comme celle-ci ou alors réussir à l'écrire. Mais ton style est inimitable !

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  2. Cette lettre: inventée peut-être, mais très bien écrite et recherchée surement! Ces RDV ancestraux m'enchantent vraiment. Annick H.

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  3. Oh un tableau de famille, petit veinard ... Recevoir une lettre de son ancêtre, sympa comme idée :)

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