C'est une question un peu polémique, je sais…
mais voilà, à la suite de l'article « Le généalogiste évolue » j'ai réfléchi à
ce sujet car je me suis demandé s'il n'y avait pas un problème chez certains
historiens, comme dans toutes les sciences, avec l'accessibilité des savoirs.
L'universitaire vous répondra toujours qu'il
est pour l'accessibilité des savoirs, leur diffusion, mais ne peut-on pas,
parfois, lui rétorquer qu'il est pour la diffusion des savoirs si c'est lui qui
en est à l'origine ?
Le généalogiste a cette fâcheuse tendance de
vouloir toujours tout vérifier. Il voit une mention d'un contrat de mariage
dans une thèse qui a pourtant reçu la mention « très honorable avec les
félicitations » et il va quand même vérifier que le docteur ne s'est pas trompé
dans son diagnostic ! C'est sûr, ça crée des conflits, mais là n'est pas le
sujet de cet article (vous me connaissez, de fil en aiguille je change presque
toujours de sujet).
Si je me suis interrogé sur cette
démocratisation de la généalogie, cela vient du constat que nous faisons tous, à
savoir qu'il y a une multiplication à l'infini des bases de données
généalogiques en ligne qui se copient/collent les unes les autres, qui alignent
des noms et parfois plus d'erreurs que de dates. Alors que les archives
départementales ont quasiment toutes fait un effort considérable pour donner
accès aux registres paroissiaux et d'état-civil par Internet (pour le plus grand
bonheur des généalogistes), la généalogie devient plus aisée, du moins dans la
quête des « trois actes » et n'importe qui peut se lancer dans cette activité
avec plus ou moins de passion.
N'importe qui ! Vous vous rendez compte ! Même
moi… Car il faut le dire, je n'ai rien du généalogiste qui tente de prouver sa
noblesse, je n'ai rien du retraité frétillant et sautillant de dépôt en dépôt
aux dépens de sa pension, je n'ai rien non plus de l'érudit local, cet
honorable homme (ou femme) qui connaît l'étymologie de chaque lieu-dit et peut
remonter les générations et établir les liens de parenté au 6e degré
de mémoire.
Non, moi c'est juste Thomas, avec des aïeux
dispersés, qui ont la fâcheuse manie de se cacher, de migrer, qui sont en plus
(les malotrus !) des roturiers, des pêcheurs, des paysans, des artisans ou même
des bourgeois. Bref, je suis de cette nouvelle génération de généalogistes qui
n'apportent rien à l'histoire des Grands (ou supposés grands) ; je n'en ai rien
à carrer de la généalogie de madame la Marquise, ou du comte de
Roquefort-la-Bédoule. La généalogie médiévale me fait autant d'effet que la géologie
du Swaziland. Avoir des ancêtres nobles m'est indifférent. Bref, je suis issu
de cette démocratisation. Si, aujourd'hui, je suis apprenti-historien, je
différencie suffisamment la généalogie et l'histoire, même si les deux
disciplines doivent travailler ensemble. L'histoire est une science, sociale
certes, mais une science. La généalogie est un art. Et c'est un art que tout un
chacun peut maîtriser. Je serais malvenu d'interdire l'entrée à de nouveaux
généalogistes parce qu'ils commettent des tonnes d'erreurs ; ils apprennent. Je
serais malvenu d'interdire la pratique de la généalogie sous prétexte que
certaines personnes ne vérifient jamais leurs données : la généalogie est un
art et une passion. On ne peut interdire à quelqu'un de peindre, par contre on
peut refuser d'aller à son exposition.
Je préfère encore le généalogiste qui se trompe
au généalogiste qui ment. Car les généalogies pseudo-nobiliaires du XIXe
siècle et d'avant sont pour certaines des falsifications. Je préfère encore le
généalogiste qui fait du « copillage » et qui diffuse l'assemblage plus ou
moins juste de ses recherches en libre accès sur Internet que l'érudit qui fait
de la compilation d'anciens érudits et qui vous vend le « machin ».
Il y a des tonnes de catégories de généalogistes.
Chacun mène sa barque comme il l'entend. C'est comme aimer chanter sous sa
douche : certains pourraient faire l'Eurovision et d'autres chantent bien. On
ne va pas aller vous interdire de chanter sous la douche… Eh bien c'est pareil
pour la généalogie.
Cependant, la démocratisation ne veut pas dire
que le généalogiste qui se prétend apprenti-historien, ou le généalogiste qui
veut devenir sérieux, doit copier bêtement sur les autres. Si Nicolas Poussin
avait pris exemple sur mes toiles de maternelle, il aurait probablement fini
sur le bûcher (ou aurait été financé par Fleur Pellerin, au choix).
Ce que je déplore est triple :
- La copie simple d'autres arbres
- Le manque d'initiative
- L'entre-soi
Examinons un instant ces trois éléments :
1. La copie simple d'autres arbres. C'est un
sujet déjà traité et si je déplore cet aspect, c'est moins sur le vilain
généalogiste nouvel arrivant qui copie un arbre (c'est un débutant, laissez-le
donc prendre ses marques) que le généalogiste averti qui copie. Si je le
déplore c'est que souvent, ledit généalogiste, par acquis de conscience, cite
sa source. Il cite tel ou tel arbre sur Geneanet. Il faut le dire : Ce n'est
pas une source fiable. Le généanaute se trompe régulièrement car la
paléographie ce n'est pas évident, car parfois il tient ces informations de
secondes mains (associations par exemple), ce qui fait que votre information
n'est pas très sûre. S'il s'agit d'actes anciens (avant l'ordonnance de
Villers-Cotterêts), de généalogies médiévales ou autres, la source de seconde
main est souvent la seule consultable ou du moins déchiffrable, encore faut-il
arriver à différencier l'arbre généalogique de Mme Michu et la thèse du
Professeur Untel : mais là encore, c'est l'expérience qui forge l'esprit. Mon
conseil est de vérifier systématiquement (quand cela est possible) et de citer
directement l'acte car souvent, vous aurez des surprises.
Bon, passons aux vrais critiques :
2. Le manque d'initiative. Vérifier les données
des autres, c'est bien, innover, c'est mieux. C'est en cherchant à compléter
les généalogies préexistantes dans les registres que vous fournirez un vrai
travail digne d'un historien. Avez-vous remarqué que sur Geneanet, presque tous
les arbres finissent à la même génération ? C'est parce que souvent, le
généalogiste manque d'initiative. Il faut se salir les mains, que diable ! Il
faut aller au charbon : feuilletez ces satanés registres, ces liasses ! Faites
de l'inédit (surtout si vous habitez près d'un dépôt d'archives). Je prends un
exemple que je connais bien, le mien (quel égocentrique, celui-là…) : pour mon
mémoire je reconstitue des familles marseillaises ; pour la plupart ce sont des
travaux totalement inédits parce que personne ne s'est intéressé, non pas à ces
familles, mais à la recherche en archives. J'ai posté, sur un forum de
généalogistes du Nord une proposition d'entraide : je fais pour vous des
recherches aux AD13 contre des recherches aux AD59. J'ai reçu la réponse d'un
gentil bénévole qui s'est proposé, sans contrepartie, de m'aider. Mais je me
suis demandé si personne près de Lille n'avait d'ancêtres dans les
Bouches-du-Rhône. En fait, mon idée, c'est que le généalogiste se repose trop
sur ce qu'il trouve sur Internet. Il ne faut pas que les BMS et les NMD nous
rendent fainéants. Il faut aller au-delà de l'état-civil et au-delà des simples
assertions de généalogistes qui n'ont peut-être même pas consulté les documents…
Il faut innover car c'est ainsi qu'on fait progresser la connaissance.
3. L'entre-soi. Je ne vais pas y aller par
quatre chemins : cela m'insupporte. Il y a quelques années, j'ai remarqué que
j'avais des ancêtres et des cousins dans la base Roglo. Mais j'ai été vite
refroidi quand j'ai cru percevoir un entre-soi de gens issus de la noblesse
plus ou moins immémoriale (et plus ou moins mémorable). Ca m'a rappelé le
Bottin Mondain, l'ANF, le Jockey ou pire l'Association des Vieux Noms Français
Subsistants (tout un poème, il faut que j'écrive un article sur cette
association !). Heureusement, j'ai communiqué en 2009 avec le très sympathique
A. Euverte (qui nous a malheureusement quitté) et j'ai ajouté ma branche dans
Roglo puis suis devenu "Ami" de la base. Depuis mon regard a changé
car il y a une ouverture sur cette base malgré, toujours, une obsession
mondaine de certains. Aujourd'hui, cette base de plus de 6 millions de
personnes arrive à joindre toutes les familles. Je trouve, du coup, que cette
base gagne en intérêt historique et n'est plus seulement un simple annuaire
mondain. Du coup, j'échange avec un "magicien" de la base, très
aimable et efficace, et lui transmets des généalogies que j'ai établies.
L'entre-soi est un peu une plaie en généalogie car c'est vain et futile. C'est
nier la mobilité sociale, c'est nier la mobilité géographique, c'est croire en
une historiographie totalement dépassée notamment sur ces villages ou quartiers
où tout le monde serait cousin depuis toujours. Non, quand on étudie l'histoire
des familles, on se rend compte que les liens existent entre différentes
strates sociales, que les gens bougeaient beaucoup. C'est ainsi que dans Roglo,
où toutes les personnes sont liées, on peut désormais trouver des rois et des
paysans. Je tiens d'ailleurs à féliciter les "magiciens" de Roglo
pour leur travail acharné sur cette base et pour cette ouverture sur l'autre
qui mériterait, malgré tout, d'être davantage creusée.
Le généalogiste, vous le voyez, se heurte à de
nombreux problèmes et la démocratisation, cette ouverture, peut en conduire
certains à être laxistes et d'autres à s'enfermer. Il faut accepter le partage
de l'art de la généalogie et je crois bien que le réseau dense de blogs
généalogiques, par ses articles, notamment méthodologiques, est d'un grand
secours pour l'amateur qui n'est pas encore éclairé. Les associations ont aussi
un grand rôle à jouer. Car nous sommes face à une révolution avec les archives
en ligne et cela bouleverse totalement la donne. S'ouvrir, c'est permettre à
tout un chacun de participer à l'œuvre généalogique. On parle souvent de
l'Arbre Universel : il existe. Il est sur Internet, chaque généalogiste
contribue à le créer s'il innove, s'il ajoute même simplement sa branche en
créant un arbre sur Geneanet. L'Arbre Universel ne se trouve pas en un seul
lieu, il est partout dans l'œuvre des généalogistes. En cela, la
démocratisation de la généalogie est une bénédiction car, si chacun appose sa
pierre à l'édifice, l'on pourra passer à autre chose que les registres
paroissiaux et d'état-civil, voire même des notaires et l'on pourra se tourner
vers ce qui en effraie certains et en réjouit d'autres : l'Histoire.