vendredi 28 juin 2019

Les liaisons dangereuses de nos aïeux


Je vous avais parlé d’amours déçues, il y a plus d'un mois ; ces amours où la famille s’interpose, où l’argent est à prendre en compte, où même la religion s’immisce. Mais parfois, l’amour peut être une déception voire une trahison !

Nos ancêtres n’étaient pas en reste. Eux aussi vivaient à la façon de Dallas, avec leurs secrets, leurs cocufiages, maîtresses et amants. Aujourd’hui, en digne successeur de Voici, Voilà, France Dimanche et autres revues universitaires, Sacrés Ancêtres ! va briser le tabou de nos ancêtres volages.

La femme du capitaine

Je vais vous parler d’une fratrie, évoquée dans l’article précédent. Les frères et sœurs Prat. Nés entre 1884 et 1892, ces frères et sœurs sont issus du milieu « officier ». Famille bourgeoise donc, fréquentant notamment le milieu de la fonction publique et du négoce.

La famille Prat au complet vers 1903

L’un d’eux est mon aïeul, Marcel. Ce jeune homme à l’époque a entamé son service militaire et était sous les ordres d’un capitaine dont je tairai le nom.
Ce capitaine M. est vite devenu un ami de la famille Prat, le père étant lieutenant-colonel. Il ne savait pas au début que le jeune Marcel était fils d’officier et dès qu’il le sut, il fut très… conciliant. Du coup, le jeune Marcel était invité souvent chez le capitaine et son épouse. Très souvent. Trop souvent ?
La femme du capitaine avait le béguin pour le jeune Marcel et c’était réciproque. Ainsi, quand le capitaine n’était pas là, les deux jeunes gens (la femme du capitaine était plus âgée) se retrouvaient et devinrent très vite amants. Une relation qui dura plusieurs années, dans le plus grand secret.
Qu’aurait-pensé le père Prat s’il avait su que son fils avait une liaison avec l’épouse d’un de ses amis ? Il n’en aurait probablement pas pensé du bien.

Au début de l’année 1918, Marcel attrapa la typhoïde et fut alité pendant de nombreuses semaines, souffrant de fièvres et de délires. Sa petite sœur, Hélène, s’occupait de lui. Elle partit prendre du linge propre dans la malle de Marcel, amenée à l’occasion de sa maladie chez ses parents, et découvrit un nombre assez important de lettres enflammées entre Marcel et la femme du capitaine. Heureusement que la sœur sut garder le silence. Elle cacha les lettres dans sa propre chambre le temps que Marcel guérisse de la typhoïde. Elle le « convoqua » ensuite pour une petite explication entre quatre yeux !
Elle fit alors à son frère cette remarque : « Tu es véritablement inconséquent et imprudent d’avoir conservé des lettres aussi compromettantes pour une femme mariée, de plus amie de la famille ! »
Autrement dit, le problème n’était pas qu’il avait une liaison avec une femme mariée ou que cette dernière trompe son mari… NON ! C’est qu’il en avait gardé les preuves. La fidélité est une chose surfaite, la réputation est prioritaire !

Mais voilà, le brave Marcel n’était pas le seul…

Une photo, c’est toujours plus clair qu’une lettre

Le fils aîné, Léon, était militaire de carrière comme son père. Dès l’enfance, il fut envoyé en pension au Prytanée Militaire avant d’intégrer Saint-Cyr.
Dès le mois d’août 1914, Léon fut blessé au front, assez gravement. Une balle lui avait traversé les deux cuisses et il fut soigné d’urgence dans les Ardennes avant d’être envoyé dans un hôpital à Lyon. Là-bas, il fut soigné par Mme D. (pareil, je garde confidentiel le nom). Infirmière à l’occasion de la guerre, c’était une amie du père Prat… ainsi que son mari…
Vous avez compris où je veux en venir !
A partir de ce moment-là, une liaison torride s’installa entre le jeune officier et la femme mariée.
Après avoir été remis sur pied, le jeune Léon repartit au front. Mais pas pour longtemps car il fut fait prisonnier par les Allemands. Envoyé dans un camp de prisonniers, l’armée renvoya ses affaires chez ses parents…
Si je vous dis qu’ils ont envoyé une malle ? Vous voyez le lien avec l’histoire d’avant ?
En effet. Et oui, votre déduction est probablement correcte.

Léon Prat (à gauche) et son frère Marcel Prat (à droite)


La jeune Hélène, à la demande de sa mère, eut à s’occuper de vider la malle du linge pour le confier à laver. En faisant le tri, la jeune sœur tomba… sur un paquet de lettres enflammées ! Mais en plus, il y avait des photos qui… comment dire… étaient assez compromettantes !
Rebelote, cacher les lettres, attendre que le frère revienne, discussion, « et notre réputation ! », etc. Pour citer Hélène Prat : « Décidément, mes frères avaient peu de scrupules ! »

Rendez-vous chez l’antiquaire

Je vous avais parlé d’une des filles Prat, Valentine. Elle avait épousé son cousin, Henri Monchicourt et vivait à Milan. Le père de Henri, d’abord représentant pour une marque de plumes à écrire qui lui a assuré un très confortable niveau de vie, était surtout un amateur éclairé d’art. Tableaux, sculptures, antiquités, livres rares. Il avait une collection assez importante et initia son fils qui en fit un métier. Ce dernier ouvrit un très grand magasin à Milan utilisant pour se lancer quelques pièces de la collection de son père.
Le commerce marchait très bien et le gratin milanais (dit comme ça…) fréquentait la boutique. Henri eut alors plusieurs maîtresses, notamment quelques dames venues passer quelques temps à Milan en villégiature. Il se croyait visiblement irrésistible… Sa pauvre épouse, bien au courant de ces affaires, ne pouvant y faire grand-chose, se résigna et s’occupa de ses enfants.

Valentine Prat

Fort heureusement, cela ne dura pas éternellement et Henri finit par être bien moins volage.


Puisque c’est fini entre nous, j’épouserai le premier venu !

La petite sœur, Hélène, eut lorsqu’elle était jeune adulte une histoire d’amour avec Etienne D. Tous deux étaient follement amoureux l’un de l’autre. La famille D. considérait déjà la jeune Hélène comme leur belle-fille, mais la famille Prat n’était au courant de rien.
La guerre éclata alors en 1914. Etienne fut envoyé au front et continuait à envoyer des lettres torrides à sa bien-aimée qui faisait de même, espérant que la guerre se finisse vite pour qu’elle puisse l’épouser et être heureuse.

Et la guerre finit.

Hélène Prat

Peu avant le retour d’Etienne, le père d’Hélène reçut une lettre d’un ami de la famille. Cet ami était le père de Max et de Sacha. Sacha et Hélène étaient amies depuis leur plus tendre enfance et elle connaissait le grand frère, un peu gauche, séduisant mais maladivement timide. Elle n’avait jamais fait attention à lui. Et pourtant ! Cette lettre, venue du père de Max, demandait très officiellement à M. Prat la main d’Hélène pour son fils. Le très sérieux lieutenant-colonel alla voir sa fille et lui fit remarquer qu’elle était bien cachotière et qu’il ne se doutait pas qu’elle et Max avaient envie de se marier. Hélène fut autant surprise que son père, elle qui ne se doutait de rien ! Elle ne voulait pas épouser ce Max, elle voulait épouser Etienne !

Etienne fut enfin démobilisé. Mais quelque chose avait changé ; il en avait « gros sur le cœur ». Il avoua à Hélène qu’il avait eu une liaison avec une jeune femme dans le nord de la France, fille d’un aubergiste. Il assura à Hélène qu’il n’aimait pas cette fille, qu’il n’en voulait pas. Mais cette jeune fille lui annonça qu’elle était enceinte et qu’il ne pouvait pas la laisser ainsi.
Etienne, contre son gré, se résigna. Cette aventure lui coûtait chère : sa liberté. Il promit à la fille enceinte de l’épouser.

Hélène en fut très affectée et énervée. En rentrant chez ses parents, elle brûla les lettres d’Etienne. Puis, dès le lendemain, elle prit la plume. Après tout, si elle ne pouvait pas être heureuse avec l’homme qu’elle aimait, autant se moquer de l’avenir. Elle écrivit une autre lettre. A Max. Elle acceptait de l’épouser.

Hélène coupa les ponts avec Etienne, pour l’oublier, pour construire son avenir avec celui qui devint ensuite son époux : Max.

La femme d’Etienne accoucha un an après leur mariage.

De la fuite à l’asile : la tragédie d’Elizabeth

En général, j’essaie de sourire de ces histoires de maris et femmes volages. Mais l’histoire de la fille aînée de la famille Prat, Elizabeth, n’arrive pas à m’arracher un sourire ; au contraire, elle est édifiante et assez terrible.

Si vous avez lu l’article sur les Amours Déçues, vous savez comment Elizabeth a rencontré son époux, Edmond. Un cousin un peu désargenté, un amour fou et réciproque, un refus par le père de cette union avant d’accepter suite au désespoir dangereux de sa fille aînée.
Elizabeth était fougueuse et convola avec son bien-aimé. Sauf que… elle fut très vite désenchantée…
Son mari était quasiment impuissant et elle était insatisfaite de ceci. Elle apprit à le connaître et elle l’appréciait de moins en moins. C’était réciproque. Elle espérait avoir un enfant, mais n’y arrivait pas. Le fait qu’Edmond ne puisse pas vraiment être « présent » est une chose, mais ce n’était pas ce qui l’empêchait de tomber enceinte ; d’ailleurs Edmond n’avait rien à voir là-dedans. Malgré des traitements, Elizabeth n’arrivait pas à tomber enceinte. Elle subit ce qui devait être une petite opération pour l’aider. Mais le chirurgien découvrit un kyste de la taille d’un citron (!) et dut enlever tout l’appareil reproductif de la pauvre Elizabeth.

Après cela, rien ne fut plus pareil pour elle. Elle faisait du piano sans cesse, tentait de s’occuper, mais supportait de moins en moins son mari, sa vie. Alors qu’ils vivaient à Paris, elle disparut de chez son mari. Elle n’était pas partie seule…
Elizabeth s’est enfuie avec son amant, Paul (je garde son nom de famille pour moi). Ce Paul était professeur au conservatoire, grand musicien à l’époque et surtout… il était le meilleur ami d’Edmond !
Sa femme et son meilleur ami s’enfuirent sur la Côte-d’Azur. Mais ça ne dura pas. Personne ne sait ce qui s’est passé sur la Côte-d’Azur ni combien de temps leur liaison dura, ni même, exactement, où ils furent.

Un jour, Elizabeth débarqua chez ses parents, à Marseille. Amaigrie, l’air perdue, elle déposa ses bagages et resta chez eux. Elle ne dit jamais rien sur ce qu’il s’était passé. Seule confidence, elle avait quitté son mari.
Le père Prat n’était bien sûr pas ravi d’avoir chez lui sa fille mariée qui avait largué son mari, alors que lui-même avait toujours détesté ce prétendant et avait refusé, dans un premier temps, le mariage.
Elizabeth montrait des signes graves de problèmes « nerveux ». Angoissée et paranoïaque, craignant qu’on lui veuille du mal, qu’on l’empoisonne, elle avait beaucoup changé. Terminé le temps où elle faisait les délices des salons en jouant du piano et en se faisant courtiser sans cesse.

Quand la guerre fut finie, le père Prat en eut assez de la situation et décida de renvoyer Elizabeth chez son époux. Geste assez cruel en apparence, mais je ne saurais dire exactement ce qui motiva cette décision.
Il envoya un télégramme à Edmond, pour lui signifier que son épouse serait dans tel train, tel jour.

Pour Edmond, il était hors de question de vivre avec Elizabeth. Une séparation était une chose, mais ce qui s’ensuivit fut terrible. Edmond accueillit Elizabeth à la sortie du train en l’envoyant directement dans un asile.

La jeune femme y fut enfermée un an, sans possibilité de contact avec l’extérieur. Et ce, jusqu’en février 1920 où les parents d’Elizabeth reçurent une lettre annonçant le décès de leur fille dans l’hôpital psychiatrique. Edmond annonçait la nouvelle, elle serait morte de la grippe espagnole.

Ainsi mourut à 35 ans une jeune femme qui semblait n’avoir pour avenir que le bonheur, mais qui ne connut que désillusion, souffrance et finalement déchéance.

Pour conclure cet article, je tiens à dire que tout ce qui a été raconté est réel. Le nombres de sources ne permet pas d’être absolument certain de la véracité de chaque détail, mais je vous les ai livrés tels qu’ils ont été rapportés à l’époque par des contemporains.
Quand on fait de la généalogie, notre généalogie, on a souvent deux tendances. D’abord, il y a l’anonymisation de nos ancêtres : ils sont tellement nombreux suivant la génération qu’ils sont un parmi d’autres et cela les désincarne un peu. L’autre tendance est l’idéalisation : on idéalise les ancêtres, retenant les faits glorieux pour les uns, l’exaltation d’un monde rural perdu pour d’autres, ou encore le fait qu’ils ont été malheureux à cause de circonstances (épidémies, disettes, oppression par un « pouvoir » en place).
Ces histoires m’ont servi et j’espère qu’elles vous serviront, à rappeler que nos ancêtres étaient comme nous. Nos ancêtres étaient imparfaits, torturés, tout en nuances. Ils étaient humains. Nous le sommes aussi.
Ce sont ces imperfections qui rendent nos ancêtres si chers à nos yeux.

A leur mémoire et plus encore, à leurs vies.
(en haut de gauche à droite : Mathilde Patte, Léon fils, Valentine, Elizabeth. Au premier plan : Hélène et Marcel)