mardi 30 octobre 2018

Génétique et généalogie : Le retour

Peu de temps après le précédent billet (NB : j'ai commencé à travailler cet article y a 2 mois et, à cause d'une surcharge agrégative, je le redécouvre aujourd'hui !!) et suite à de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux, parfois très pertinents, j'ai décidé d'approfondir mon argumentaire et surtout de me renseigner et de comprendre davantage votre avis.

Il faut dire que j'avais écrit cet article sans chercher à lire des avis sur la "généalogie génétique" et en me fondant sur mes connaissances et mon travail sur la parenté, que ce soit d'un point de vue historique ou anthropologique.

Cette fois-ci, je vais vous mettre des liens vers quelques articles. Vous savez, on lit souvent, à droite à gauche des articles ou des messages de personnes souhaitant des normes communes en généalogie. Gestion des sources, arbre universel, classement des documents. C'est oublier, à mon avis, que la généalogie n'a pas une méthodologie propre. Pour cela, il faudrait la théoriser et avoir un consensus chez les chercheurs. Et quand bien même, comme l'Histoire, on aurait la généalogie universitaire d'un côté et la généalogie comme loisir de l'autre, les deux pouvant se croiser mais jamais totalement fusionner.
En effet, impossible de dénier à Stéphane Bern ou Lorant Deustch une certaine pratique de l'Histoire. Histoire loisir, histoire vulgarisée, histoire blockbuster, mais histoire quand même. Et intuitivement, vous savez qu'il y a une différence entre un livre de Lorant Deutsch et une thèse sur les outils de la paysannerie en Neustrie.

C'est pourquoi, que ce soit clair, je n'émets aucun jugement de valeur sur les généalogistes ayant telle ou telle pratique. Ca m'empêche pas de considérer la psychogénéalogie comme du charlatanisme ou la "généalogie génétique" comme autre chose que de la généalogie. J'essaie d'étayer mes opinions avec un argumentaire auquel vous pouvez ou non adhérer : je n'ai pas la science infuse, ne suis pas plus légitime qu'un autre et au final, mon côté "anarchiste" me pousse à dire que chacun fait bien ce qu'il veut !

Mais revenons à vos commentaires et articles sur la question. Ce qui m'a le plus intéressé dans le (peu) que j'ai lu, c'est la possibilité de trouver des cousins grâce à l'ADN. Il peut y avoir d'autres utilités comme la vérification d'une légende familiale.
Comme vous pouvez le constater, la généalogie génétique a pour principal attrait la recherche de collatéraux (qui sont probablement généalogistes s'ils ont voulu passer ces tests). De collatéraux contemporains, du moins.
Les résultats nous donnent un indice. Machin serait votre cousin à la 6e génération. A vous de trouver ensuite le lien de parenté exact, le chemin dans vos arbres qui vous relie.
Ca reste une information, comme un article de journal, un acte, des notes sur une feuille volante. Cette information peut avoir un intérêt généalogique, tout comme un article de La Provence sur une minoterie du XIXe siècle, tout comme... tout en fait.
Comme en Histoire, tout matériau peut être utilisé. Mais une pierre gravée n'est pas de l'Histoire, tout comme un acte de baptême n'est pas de la généalogie.

La généalogie est la manière, tout à fait humaine, d'agencer les informations par recoupements en vue d'établir une parenté. Et c'est cela qui était au coeur de mon précédent article : la parenté en généalogie. D'Averne et d'Armorique, dans un article fort intéressant, parle de "généalogie administrative". Je rejette complètement l'expression, mais pour en arriver là, il développe une réflexion que je rejoins. La parenté n'est pas une expression biologique en généalogie.
Dans le précédent article, je vous ai expliqué en quoi on avait des a priori scientistes sur des réalités anthropologiques. Le tabou de l'inceste était l'exemple. Pourquoi les animaux, d'eux-mêmes (donc sans élevage de "races"), n'ont pas ce tabou ? Pourquoi serait-ce seul l'être humain qui subirait d'éventuelles conséquences immédiates avec un enfant difforme ou malade ? L'inceste est au coeur de la parenté chez l'être humain... du moins son tabou. Très rares sont les cas d'incestes approuvés. Je ne connais pas toutes les civilisations et toutes les sociétés humaines qui ont existé ou existent encore, mais nous connaissons tous le cas des Pharaons. On faisait pas plus incestueux. Ramsès II qui faisait des gosses à sa mère, ses soeurs, filles et petites-filles, par exemple. Mais Pharaon n'était pas humain, il n'était pas considéré comme tel. Par effet de miroir, il pouvait et devait transgresser ce qui caractérisait ses sujets. On trouve la même chose dans les mythologies grecques et romaines avec des incestes légitimes.
Alors pourquoi l'inceste dans cet article ? Pour vous montrer qu'on ne fonde pas notre conception familiale sur des raisons biologiques. L'inceste est tabou pour des raisons d'alliances matrimoniales et de survie de la famille. On parle d'échange des filles. En somme, on accepte de donner sa soeur à un autre homme qui en échange donne sa propre soeur. Cela permet l'alliance avec une autre famille et empêche l'isolement et donc à terme, l'extinction. Cela permet de former des sociétés humaines. L'inceste, d'ailleurs, a besoin d'une réglementation : cela montre qu'il n'est pas évité "naturellement". L'inceste a lui-même plusieurs définitions. A Athènes n'était pas incestueux un mariage entre demi-frère et demi-soeur s'ils avaient le même père ; à Sparte, c'était la même mère. La société chrétienne a interdit pendant longtemps les mariages entre cousins, même éloignés, avant de procéder à des dispenses nous informant que l'inceste concernait outre les ascendants et les descendants, les frères et soeurs (y compris "demi), tandis que le mariage oncle/nièce, tante/neveu pouvait se faire avec une dispense.

Mais revenons à l'ADN ! Le blog Aventures généalogiques propose un article qui évoque aussi ce que je viens de dire. En filigrane que l'ADN peut être un "outil" (je dirais plutôt une information). L'auteur dit que cela peut corroborer ou infirmer des filiations plus ou moins lointaines. A travers un recoupement de données, sur un échantillon colossal de la population, ça peut. Du moins, génétiquement.

Car je ne vous parlais pas de "tabou de l'inceste" au milieu d'un article sur la "généalogie génétique" pour faire genre : "Hey, regarde comme je m'y connais !"
Non.
Si je vous parle de tout ça, c'est pour faire d'abord une confession : la génétique peut venir à l'appui d'une thèse généalogique. Oui, j'avoue ! C'est normal puisque la plupart du temps vos parents sont vos géniteurs et ainsi de suite. Il y a donc de bonnes chances que vous puissiez confirmer une filiation civile par une filiation génétique et donc trouver des cousins.

Mon opposition à la "génétique" comme généalogie repose, vous l'aurez compris, sur ce qu'est une famille, ce qu'est une filiation.
La "dérive scientifique" de la famille qui deviendrait simplement biologique oublie que la famille n'existe pas. Enfin... elle n'existe pas naturellement au sens où on l'entend. Être d'une même famille passe d'abord par une reconnaissance réciproque (tu es de ma famille, et l'autre dit la même chose) qui se base sur une filiation proche, lointaine, qu'elle soit naturelle ou adoptive et par un tas d'autres machins comme, par exemple, le partage de rites religieux, d'un même toit, la reconnaissance de la société, etc.

Il me semble que depuis pas mal de temps, notamment depuis les numérisations, les généalogistes sont passés à autre chose qu'à l'alignement de noms et de dates dans un "arbre". C'est ce que je défends depuis des années sur ce blog : le généalogiste a évolué. Il se rapproche de l'historien, il devient historien.
Malgré tout, le XXe siècle est celui du scientisme, idéologie abandonnée par les chercheurs (comme la sociobiologie, le darwinisme social, etc) mais pourtant, toujours bien ancrée dans les mentalités. La science détiendrait la vérité, la vérité sur "pourquoi la Terre tourne" aussi bien que sur "la famille", "la littérature", "la société", etc.
La généalogie, l'histoire, mais aussi la sociologie, l'économie, la littérature, la linguistique et la philosophie ne sont pas des sciences physiques. Ces dernières émettent des "lois" ou par exemple utilisent dans leur procédé l'observation. J'ai jamais observé les populations hongroises du Moyen-âge, de mon côté. Les sciences physiques/mathématiques et les sciences humaines/sociales travaillent ensemble (histoire de l'environnement par exemple, études quantitatives, etc.). Il ne faut pas pour autant croire que certaines sont au-dessus des autres parce qu'elles font une science qui implique des lois.

La généalogie doit se dégager de cette impression que la biologie va leur dire d'où ils viennent. Car, s'ils le croient, alors le généalogiste donnera raison à celui qui se moque en disant : "La généalogie ça sert à rien, on est tous de la famille de Lucy" (remplacez Lucy par Adam et Eve ou peu importe). L'ADN est utile dans les recherches sur plusieurs points : trouver un collatéral ou identifier une maladie génétique. Mais j'ai bien l'impression que chez beaucoup, cette quête est présente par "intégration" des conceptions biologisantes de la société.
On l'a vu quand il a été question de faire des tests ADN aux immigrés pour prouver que machin était le fils de machin2. On le voit toujours quand on affirme que la filiation adoptive de deux hommes ou deux femmes (comme parents) est contraire à la Nature (Gaïa, si tu me lis). Il s'agit de propos ignorants, ignorants de ce qu'est une société ou une famille et qui plaquent sur la biologie (et la plupart des biologistes aimeraient qu'on leur foute la paix, afin qu'ils puissent continuer leurs recherches) leur idéologie.

Pendant longtemps, les femmes étaient cloîtrées chez elle et ne pouvaient pas voir d'hommes sans l'accord de leur mari (et sous son étroite surveillance). Pourquoi ? Parce que, oui, l'homme voulait être sûr d'être le père de l'enfant. Pour diverses raisons, d'ailleurs, dont l'orgueil, le souhait d'avoir sa propre descendance, mais aussi pour des raisons d'ordre et d'héritage. Pour autant, l'homme pouvait refuser de reconnaître son enfant dans les sociétés anciennes. En Grèce, 10 jours après la naissance de l'enfant, le père choisissait si oui ou non il était le père. Il pratiquait un rite (l'amphidromie) dans lequel il présentait l'enfant qu'il acceptait au foyer en lui faisant faire le tour de ce dernier. S'il refusait de reconnaître l'enfant, il l'exposait. Chez les Na (en Chine), il n'y a même pas de mot pour "père", car l'enfant n'en a pas (les femmes ne se marient pas, le terme "mari" n'existant pas non plus ; les femmes sont "visitées" par un amant dans leur chambre). Quelle est la famille de ses Na ? L'enfant (ego) a une mère, des frères et soeurs, une grand-mère, des oncles et tantes. Si vous lui faites un test ADN et que vous dites à ego que son père est son voisin, il vous rira au nez (si tant est que vous soyez apte à expliquer la notion de père dans une langue où le mot et donc le concept sont absents).

La génétique est liée à la reproduction de l'espèce. La famille et la société caractérisent l'être humain. Pour éviter de faire un article encore plus long, je vais simplifier à outrance.
La généalogie génétique a des attraits et peut faire des ponts avec la généalogie. Mais la généalogie génétique est une généalogie des gènes, des chromosomes, etc. L'être humain en ce qu'il se différencie d'un castor reste inconnu (puisqu'ils ont le même comportement de reproduction).
La généalogie, au sens historique, replace la filiation dans la société. On remet l'enfant à ses parents, à ses frères, soeurs, etc. Non pas pour faire un arbre sans autre intérêt que de décorer le salon, mais pour essayer de replacer un ancêtre, un individu, dans un contexte. C'est une généalogie comme science humaine. Elle vise à savoir d'où l'on vient et surtout comment "l'on vient" : les processus, les motivations, les raisons d'une alliance, l'éducation, etc.

Si je simplifie, si je suis un peu radical, c'est parce que le choeur semble unanime. Tout le monde défend la génétique comme la généalogie de demain.
Il faut être conscient de l'avancée grandiose des sciences biologiques, de l'apport des recherches ADN pour la médecine et même pour certains généalogistes qui trouvent des cousins (ou un frère comme j'ai vu récemment !).
Mais il faut aussi être conscient que la génétique ne vous permettra pas de savoir ce qu'est une famille, ce qu'est une société. Que la génétique appliquée à la généalogie n'est pas la généalogie pratiquée depuis des siècles. 
Vous aurez autre chose.
Quelque chose qui ne tient pas compte de la famille.
Mais vous aurez autre chose, et ce "autre chose" reste à définir.

Pour conclure, j'aimerais donner un avis très personnel sur la démarche en elle-même. Parce que je ne m'oppose pas forcément à la légalisation de ces tests ou à leur utilisation. Chacun fait bien ce qu'il veut et, si je prends la plume, c'est plutôt pour donner voix à une autre conception de la famille et de la société.
Cet avis particulier, donc, concerne la peur que je peux avoir. Je ne vois pas du tout comme rassurant que les gens donnent leur ADN pour un loisir et pour des résultats aussi faibles. J'y vois comme le fichage parfait des individus. Tout problème génétique, toute caractéristique, éventuellement toute origine, tout ça est donné à des organismes qui collectent les informations. Et oui, j'espère bien qu'aucune organisation (gouvernementale ou non) mal-intentionnée n'aura jamais accès à ces données. Surtout lorsque l'on sait que votre ADN donne des indications sur tous vos proches. En somme, je crains que ces tests "pour la généalogie", donnés volontairement, soient à terme un danger.