mardi 3 décembre 2019

Toi aussi, Généalogiste, trouve l’amour…


L’idée de cet article m’est venu en lisant un commentaire (au second degré !) sur la création d’un site de rencontres pour généalogistes.

Je me suis dit : Et pourquoi pas ?!
Puis j’ai pouffé de rire et j’ai regardé la pluie par la fenêtre en pensant à l’endroit où pouvait bien être décédée Tatie Ursule.
Si ça existait, à quoi ça pourrait bien ressembler ?



Par exemple, sur un tel site, on ne chercherait pas un homme ou une femme, mais un « futur sosa 2 » ou futur « sosa 3 » ou éventuellement un sosa neutre pour ne froisser personne ou bisosa, même.

Hormis la classique photo de profil, pouvant être remplacée par le pedigree généalogique sous forme d’arbre, on n’aurait bien sûr pas de catégorie « hobbies ». Car tout le monde sait que les généalogistes ne font que ça, qu’on se réveille au milieu de la nuit en criant : « Montpezat ! J’ai pas cherché dans les registres de Montpezat ! » avant de s’écrouler de nouveau dans un sommeil fort agité.

A la place, on mettrait une catégorie : « Origines ». Avec la liste des départements, pays, etc. Cela permettrait la discussion :
« slt !
    T’as des origines du 06 !
    Ouais, lol
    D’où ?
    Grasse
    Ah, je cherche un mec avec des origines de Nice. *l’utilisatrice vous a bloqué* »

Il y aurait bien sûr l’âge avec en plus « l’ancienneté », soit le nombre d’années de pratique de la généalogie. Genre : « 35 ans. 15 ans d’ancienneté » Ce qui permettrait de ne pas tomber sur un(e) newbie qui y connaît rien en numérisations en ligne. Le soir, au coin du feu, devoir expliquer la différence entre archives municipales, départementales et autres, c’est assez pénible. On cherche l’âme sœur ou non !

Bien entendu, les gens vont mentir sur leur profil et pour éviter cela, quant à l’âge, la photo ou l’ancienneté, on demandera, en bon généalogiste, quelles sont les sources !

Les sources étant le cœur même de… l’obsession en généalogie, une partie lui sera dédiée. Comment la personne prétendant trouver l’âme sœur généalogique gère-t-elle ses sources ? D’après une étude, 92% des ruptures sont dues à une incompatibilité dans la gestion et la (non) publication des sources.

Dans « préférences », on demandera si la personne préfère quelqu’un de son âge, de sa région, Geneanet ou Filae, etc. Toutes les questions absolument essentielles à la prise en compte du « match » que l’algorithme digne de Google produira.

La mise en commun éventuelle des arbres des utilisateurs permettra de savoir s’ils sont cousins et si oui à quel degré :
« Dingue, té ma couzine au 5e degré !
    Ah ouais MDR
    Du coup, tu reçois ce soir ? Pas bsoin de dispens de consanguinité ! *clin d’œil pervers* *clin d’œil pervers* *clin d’œil pervers*
    LOL, j’peux pas, j’ai soirée Geneatique avec les copines.
    Demain, alors ? *l’utilisatrice vous a bloqué* »



Une fiche prise au hasard : celle de Scarlett72 — © GeneaLove™

Pour vous donner une idée, voici la « fiche » simplifiée (et non le profil, tout bon généalogiste sait qu’on dit « une fiche ») d’une utilisatrice : Scarlett72.
Bien sûr, Scarlett ne trouvera jamais l’âme-sœur car, si on est attentif, on notera que 263 ancêtres pour 12 ans de recherches c’est pas assez !
Même si Scarlett72 n’aura jamais de « match », on peut lui souhaiter le meilleur sur une plateforme de rencontres moins exigeante. #Loser

Peu après le lancement du site, on peut parier sur le lancement de l’appli pour Apple et Android. Grâce au GPS, vous aurez la possibilité de voir les inscrits les plus proches de chez vous. Comme Tinder et consorts, vous pourrez « swiper » les profils.
Pour approuver le profil : swipez vers le bas, afin de construire avec l’autre une généalogie descendante.
Pour refuser le profil : swipez vers le haut, vers l'infini nébuleux des cimes généalogiques.
Si vous approuvez un profil qui vous approuve, vous aurez alors un « match » et pourrez, en toute sérénité, comparer vos arbres !



Bientôt, grâce à GeneaLove™, toi aussi trouve l’amour généalogique !


samedi 14 septembre 2019

Le droit des enfants à avoir un père – une réflexion historique et généalogique


Comme vous le savez, le débat fait rage autour de la PMA pour les couples de femmes. Nous ne parlerons pas de politique, nous n’entrerons pas dans le débat actuel qui n’a pas sa place sur ce blog en l’état actuel des choses.
Ainsi, je ne donnerai pas de position politique, de consignes ou autre ; malgré tout ce débat pose pleins de questions d’ordre historique. Un député de la majorité a déclaré qu’il « n’y a pas de droit de l’enfant à avoir un père » ce qui a provoqué une « levée de boucliers » (comme aiment à dire les médias), certains et certaines s'insurgeant sur des propos « barbares » ou scandaleux.
L’émotion au détour d’une phrase, spécialité des réseaux sociaux où l’on s’indigne 6 fois par jour, où l’on signe des pétitions, où l’on donne son avis, tout ça peut être compréhensible. Mais on y réagit souvent émotionnellement, sans forcément prendre le temps de réfléchir un instant car tout va très vite sur Twitter, Facebook, etc.

Sur ce sujet, d’un point de vue d’histoire de la famille, de la généalogie, où en est-on ?

Un enfant peut naître de père inconnu et mère connue, de père connu et mère inconnue (rare étant donné les circonstances de l’accouchement, mais possible) ou de père et mère inconnus.
Un de mes arrière-grands-pères, Auguste Sastrel, a été trouvé chez des religieuses à Chiffalo (Algérie) au début du XXe siècle. Parents inconnus. Un de mes aïeux plus lointain est fils de père inconnu. On a tous des cas comme ça.
On a tous vu passer un acte d’un enfant de l’hospice, de l’assistance, « enfant de la patrie », etc. Ces enfants n’avaient pas de père. Aujourd’hui encore. Parfois pas de mère non plus.
Est-ce que la société en était « barbare » ? L’est-elle toujours ?
Tout ce que l’on sait, c’est que ces enfants ne sont pas nés dans des choux. Qu’ils ont des géniteurs. Mais le géniteur ne fait pas le parent. Aucun homme n’est à l’abri d’un écart de la part de son épouse. De même, l’homme avec qui elle fait l’écart peut être marié, être père de certains enfants et géniteur d’autres.
C’est pour ça que la filiation, chez l’Homme, est un mélange de nature et de culture. Il y a forcément des géniteurs (même les bébés-éprouvettes ont des gènes venus de ceux qui les transmettent : les géniteurs). Mais si la filiation, en général, suit cet aspect si évident de la biologie, la société en fait ce qu’elle veut. Nous nommons les choses, les concepts. Nous pensons, avons un esprit critique, etc. Malgré l’amour que vous pouvez avoir pour votre chat, il est peu probable qu’il vienne vous voir un jour et vous dise tranquillement : « Je pense, donc je suis. »

Ainsi naissent des enfants de père inconnu. Dire qu’un enfant a « le droit à un père » ce n’est pas pareil que de dire qu’un enfant a « le droit d’avoir un père ». Le premier est opposable. En somme, tout enfant de père inconnu pourrait exiger devant la justice qu’on lui attribue un père sous peine de sanctions envers la collectivité. Comme le « droit à un travail » obligerait la société à fournir un travail à tout le monde.
Par contre, on a le droit d’avoir un père. En somme : c’est légal d’avoir un père, mais on n’est pas obligé d’en avoir un.

Le droit à un père peut se trouver, probablement, dans diverses sociétés à travers l’espace et le temps (je n’ai pas d'exemple à apporter ceci dit).
Mais peut-on dire que le monde chrétien de l’Antiquité tardive à nos jours est barbare parce qu’il y a des enfants qui n’ont pas de père ? Que l’occident contemporain l’est ?
On trouve ainsi des enfants de père inconnu sous l’Ancien Régime qui n’ont pas de nom de famille (patronyme = nom du père) car ils n’ont pas de père. Certains prennent le nom de la mère. D’autres se trouvent avec un nouveau nom (on trouve « Blanc » assez fréquemment, mais parfois des noms plus originaux) bien que la mère ait son propre nom !
La filiation, le nom, est en partie une construction que l’on établit dans une société. On peut en être conscient ou non.

J’avais déjà parlé de ce sujet jadis sur ce blog, avec le problème de la filiation en généalogie. Je me souviens avoir brièvement parlé d'une société, toujours existante, en Chine, les Na. Société où le mot « père » n’existe pas, ni celui de « mari ». La filiation y est très différente de chez nous, la maison étant celle des femmes, les hommes vivant chez leur mère, sœur, nièce. Ils n’ont pas d’enfants. Du moins au sens où nous l'entendons. Ils sont pour beaucoup géniteurs d’enfants extérieurs, mais en aucun cas pères. Est-ce une société barbare ?

Les Grecs anciens avaient aussi leurs systèmes. Un homme marié pouvait refuser d’être le père de l’enfant de sa femme et allait le déposer à un endroit avec plus ou moins de passages pour qu’il soit éventuellement recueilli par des passants. L’enfant était « exposé ».

On est toujours partagé, en généalogie, quand il y a des cas adoptés. Savoir qui est le géniteur de l’enfant peut être très intéressant. Mais connaître le grand-père du géniteur ? Si le géniteur n’a aucun rapport avec l’enfant, si la mère n’a jamais parlé de ce géniteur, est-ce que le grand-père de ce dernier a un intérêt ? Rien n'a été transmis dans l'éducation, dans les biens, dans les souvenirs, aucun lien à part une partie génétique.
Biologiquement, oui ça peut avoir un intérêt, puisque c’est génétiquement un ancêtre, mais un arbre généalogique purement génétique, c’est différent. On crache dans un tube, on paie 100$ et voilà.
D’un autre côté, faire l’arbre généalogique d’un parent adoptif ou d’un beau-parent qui a élevé l’enfant peut aussi poser question. Après tout, ce ne sont pas des « ancêtres génétiques » et notre côté biologisant s’interroge.

L’état-civil n’a pas pour but de « dire la nature », mais d’établir un document officiel pouvant servir juridiquement. Il n’a pas à être biologiquement vrai ou vraisemblable. Ce n’est pas un compte-rendu médical ou les résultats d’une radio dentaire ; c’est un autre « objet ». La loi pourrait rendre l'état-civil exclusivement biologique ; mais ce serait la loi, donc théoriquement la société, qui donnerait cette place à la biologie et qui pourrait, de fait, la reprendre.

En conclusion, cet article a eu pour but de montrer que l’histoire occidentale, mais aussi dans d’autres sociétés, n’établit pas de force un lien paternel qui transcenderait la société. Que, si on a tous des géniteurs, on n’a pas forcément tous un père et/ou une mère, que ce soit ou non malheureux ; c’était pareil durant l’Antiquité, le Moyen-âge, l’époque moderne et encore aujourd’hui. La filiation, outre la question de l’enchaînement biologique, est une affaire de reconnaissance entre les parents, l’enfant et la société ; la société peut rendre un homme père juridiquement d’un enfant biologique (illégitime par exemple, via une décision de justice) ; l’enfant peut refuser de reconnaître son père et le père l’enfant (même si on est obligés juridiquement, on peut refuser personnellement le lien ; ainsi si Jean-Pierre Foucault est votre cousin au 15e degré, il est peut-être juste un cousin généalogique et ne va pas forcément vous envoyer une carte à Noël avec « cher cousin », même si vous lui dites que vous l’êtes - c'est le principe de reconnaissance entre les deux personnes du lien de parenté).
On a pu aussi voir le fait que la phrase de ce député, même si elle peut réveiller émotionnellement une sensiblerie ou sincèrement choquer des gens, est correcte et tout à fait défendable historiquement et surtout, juridiquement (imaginez que chaque enfant de père non dénommé, enfant abandonné, etc. exige devant la justice qu’on lui attribue un père… et du coup, quel père ? le géniteur ? un homme au hasard ?).

Mon but, avec ce modeste article, était de parler de manière dépassionnée de ce brûlant sujet. J’espère avoir été juste dans mes propos ; n’hésitez pas à poursuivre la discussion dans les commentaires. Je préviens juste qu’en cas de débordements, des commentaires pourraient être supprimés, non par désir de censure, mais par souhait d’apaisement sur un blog qui n’a pas de vocation partisane en politique.

jeudi 15 août 2019

Classer ses actes généalogiques


Comment peut-on classer les actes que l’on récupère au fil du temps de sorte à les retrouver facilement ?
C’est en effet une question que votre serviteur s’est longtemps posé. Quand on commence, on a plein de capture d’écrans, d’actes en vrac, etc. Alors, comment faire ?
On va voir concrètement la manière que j’utilise, mais le plus important est que le classement doit vous convenir.

J’ai créé deux dossiers :
-          Ascendants
-          Descendants

Ascendants

Commençons par le premier. Les ascendants sont VOS ancêtres à l’exclusion de tous les collatéraux, y compris les frères et sœurs des ancêtres.
A partir de là, c’est assez simple :


Comme vous le voyez, chaque dossier porte un numéro. C’est le numéro de génération. Comme vous pouvez le deviner, chaque ancêtre l’est à une certaine génération et c’est en général noté sur votre logiciel, sur la fiche ancêtre.
Si vous avez un ancêtre plusieurs fois grâce à la magie de l’implexe, gardez le numéro sosa de sa première apparition (donc son lien le plus rapproché avec vous). Dans tous les cas, faut choisir une génération pour ces cas-là.

Allons faire un tour dans le dossier la génération 9 :


Oh, chouette, encore des dossiers ! Eh oui ! mais promis ce sont les derniers.
Le classement est simple. Nous avons ici, tous les ancêtres à la 9e génération classés par leur numéro de sosa. Un ancêtre = Un dossier.

Voyons un dossier, celui de Charles Ville :


Notons que le retrouver est extrêmement facile. Si je trouve un testament ou un autre acte le concernant, il suffit que je sois sur sa fiche Hérédis pour avoir son numéro de sosa. Et là, sur cette capture, on voit bien qu’il s’agit du sosa 410 à la 9e génération.
C’est dans ce dossier que sont centralisés tous les actes le concernant. Il se trouve qu’on y a les 3 actes classiques et rien de plus (ce qui est déjà pas mal).
Regardez la nomenclature. J’utilise toujours la même avec parfois des variantes pour les actes qui sont là depuis longtemps (avant l’harmonisation complète).
Tous les actes commencent par une lettre N, B, M, D, S. Pour naissance, baptême, etc. Ainsi :
B Ville Charles 09051745 Saint Trinit
Est composé comme suit :
B : Baptême
Nom
Prénom
Date de l’acte complète sans les barres ou autres signes. Ici c’est en date du 9 mai 1745
Lieu (Saint Trinit) + on peut y ajouter la paroisse quand il y en a plusieurs

Cette nomenclature ne sert pas à classer l’acte. L’acte est classé rien qu’en étant dans ce dossier. Ca sert à l’identifier au premier coup d’œil et à avoir les informations essentielles (notamment la commune, la paroisse ou la date exacte) car parfois les informations essentielles ne sont pas dans l’acte. Par exemple, on peut avoir la formule « l’an et jour que dessus », « en cette paroisse ». Là au moins, on sait cela.

On notera dans ce dossier le mariage Ville-Signoret. Je ne mets le mariage que dans le dossier de l’époux, ça ne me sert pas de l’avoir en double dans les deux dossiers.

Descendants

Partons d’un principe assez évident. Le frère d’un ancêtre est le fils de leurs parents communs. Ainsi, le frère doit être lié à ces parents pour la généalogie descendante.
Dans le dossier « descendants », on a les mêmes dossiers pour commencer. Un classement par génération. Puis dans chaque dossier, un dossier avec nos ancêtres :

On note tout de suite une chose : où sont les femmes ? Pour une raison simple, je ne les mets pas forcément. Laquelle ? Eh bien, si les enfants viennent des deux ancêtres, je ne vais tout de même créer qu’un dossier par descendant et autant que ce soit par celui qui transmet le nom. Les femmes y sont lorsqu’une aïeule s’est remariée et a eu des enfants d’un autre mariage car c’est ELLE qui est notre ancêtre et donc le seul lien avec les collatéraux.

Donc nous avons ici la liste d’aïeux à la 9e génération dont j’ai trouvé des enfants autres que mes aïeux. Prenons un cas concret à cette génération. Pierre Ricard, sosa 388, a eu d’autres enfants :

On voit ici plusieurs choses. J’ai choisi de commencer tous les dossiers avec « 1. » pour renvoyer en quelque sorte au dossier d'origine, mais on peut très bien s’en passer. Vous pouvez directement mettre « 1 », « 2 », « 3 ». Mais il faut absolument numéroter ; peu importe l’ordre réel des naissances car ce n’est pas pour cela que c’est fait. On peut donc voir 6 frères et sœurs + mon aïeul qui n’est bien sûr pas ici. Dans les dossiers, on met les actes comme pour les aïeux.

Et là, vous voyez sur l’image : « 1.2.1.  – RICARD Jean Baptiste ». 2.1. signifie qu’il est le fils du numéro 2, soit François RICARD. C’est ainsi que, dans le même dossier, vous aurez TOUTE la descendance de l’ancêtre choisi (ici, Pierre Ricard, sosa 388) à l’exception de celle de l’enfant dont vous descendez.
D’ailleurs, le fils de ce Pierre dont je descends, Jean Baptiste Ricard, a son propos dossier de descendants à la génération en dessous !

L’enchaînement de la numérotation pour la généalogie descendante est assez simple et surtout, votre dossier les classe automatiquement si vous respectez les normes (numéro.numéro.numéro.etc)

Pour une descendance plus importante, voici, toujours à la 9e génération, celle issue de Dominique Daulmery :


Ce sera tout pour aujourd’hui ! J’espère que cet article vous aura donné des idées ou du moins vous fera réfléchir à une manière d’ordonner, pour vous-même, vos actes informatisés !

vendredi 28 juin 2019

Les liaisons dangereuses de nos aïeux


Je vous avais parlé d’amours déçues, il y a plus d'un mois ; ces amours où la famille s’interpose, où l’argent est à prendre en compte, où même la religion s’immisce. Mais parfois, l’amour peut être une déception voire une trahison !

Nos ancêtres n’étaient pas en reste. Eux aussi vivaient à la façon de Dallas, avec leurs secrets, leurs cocufiages, maîtresses et amants. Aujourd’hui, en digne successeur de Voici, Voilà, France Dimanche et autres revues universitaires, Sacrés Ancêtres ! va briser le tabou de nos ancêtres volages.

La femme du capitaine

Je vais vous parler d’une fratrie, évoquée dans l’article précédent. Les frères et sœurs Prat. Nés entre 1884 et 1892, ces frères et sœurs sont issus du milieu « officier ». Famille bourgeoise donc, fréquentant notamment le milieu de la fonction publique et du négoce.

La famille Prat au complet vers 1903

L’un d’eux est mon aïeul, Marcel. Ce jeune homme à l’époque a entamé son service militaire et était sous les ordres d’un capitaine dont je tairai le nom.
Ce capitaine M. est vite devenu un ami de la famille Prat, le père étant lieutenant-colonel. Il ne savait pas au début que le jeune Marcel était fils d’officier et dès qu’il le sut, il fut très… conciliant. Du coup, le jeune Marcel était invité souvent chez le capitaine et son épouse. Très souvent. Trop souvent ?
La femme du capitaine avait le béguin pour le jeune Marcel et c’était réciproque. Ainsi, quand le capitaine n’était pas là, les deux jeunes gens (la femme du capitaine était plus âgée) se retrouvaient et devinrent très vite amants. Une relation qui dura plusieurs années, dans le plus grand secret.
Qu’aurait-pensé le père Prat s’il avait su que son fils avait une liaison avec l’épouse d’un de ses amis ? Il n’en aurait probablement pas pensé du bien.

Au début de l’année 1918, Marcel attrapa la typhoïde et fut alité pendant de nombreuses semaines, souffrant de fièvres et de délires. Sa petite sœur, Hélène, s’occupait de lui. Elle partit prendre du linge propre dans la malle de Marcel, amenée à l’occasion de sa maladie chez ses parents, et découvrit un nombre assez important de lettres enflammées entre Marcel et la femme du capitaine. Heureusement que la sœur sut garder le silence. Elle cacha les lettres dans sa propre chambre le temps que Marcel guérisse de la typhoïde. Elle le « convoqua » ensuite pour une petite explication entre quatre yeux !
Elle fit alors à son frère cette remarque : « Tu es véritablement inconséquent et imprudent d’avoir conservé des lettres aussi compromettantes pour une femme mariée, de plus amie de la famille ! »
Autrement dit, le problème n’était pas qu’il avait une liaison avec une femme mariée ou que cette dernière trompe son mari… NON ! C’est qu’il en avait gardé les preuves. La fidélité est une chose surfaite, la réputation est prioritaire !

Mais voilà, le brave Marcel n’était pas le seul…

Une photo, c’est toujours plus clair qu’une lettre

Le fils aîné, Léon, était militaire de carrière comme son père. Dès l’enfance, il fut envoyé en pension au Prytanée Militaire avant d’intégrer Saint-Cyr.
Dès le mois d’août 1914, Léon fut blessé au front, assez gravement. Une balle lui avait traversé les deux cuisses et il fut soigné d’urgence dans les Ardennes avant d’être envoyé dans un hôpital à Lyon. Là-bas, il fut soigné par Mme D. (pareil, je garde confidentiel le nom). Infirmière à l’occasion de la guerre, c’était une amie du père Prat… ainsi que son mari…
Vous avez compris où je veux en venir !
A partir de ce moment-là, une liaison torride s’installa entre le jeune officier et la femme mariée.
Après avoir été remis sur pied, le jeune Léon repartit au front. Mais pas pour longtemps car il fut fait prisonnier par les Allemands. Envoyé dans un camp de prisonniers, l’armée renvoya ses affaires chez ses parents…
Si je vous dis qu’ils ont envoyé une malle ? Vous voyez le lien avec l’histoire d’avant ?
En effet. Et oui, votre déduction est probablement correcte.

Léon Prat (à gauche) et son frère Marcel Prat (à droite)


La jeune Hélène, à la demande de sa mère, eut à s’occuper de vider la malle du linge pour le confier à laver. En faisant le tri, la jeune sœur tomba… sur un paquet de lettres enflammées ! Mais en plus, il y avait des photos qui… comment dire… étaient assez compromettantes !
Rebelote, cacher les lettres, attendre que le frère revienne, discussion, « et notre réputation ! », etc. Pour citer Hélène Prat : « Décidément, mes frères avaient peu de scrupules ! »

Rendez-vous chez l’antiquaire

Je vous avais parlé d’une des filles Prat, Valentine. Elle avait épousé son cousin, Henri Monchicourt et vivait à Milan. Le père de Henri, d’abord représentant pour une marque de plumes à écrire qui lui a assuré un très confortable niveau de vie, était surtout un amateur éclairé d’art. Tableaux, sculptures, antiquités, livres rares. Il avait une collection assez importante et initia son fils qui en fit un métier. Ce dernier ouvrit un très grand magasin à Milan utilisant pour se lancer quelques pièces de la collection de son père.
Le commerce marchait très bien et le gratin milanais (dit comme ça…) fréquentait la boutique. Henri eut alors plusieurs maîtresses, notamment quelques dames venues passer quelques temps à Milan en villégiature. Il se croyait visiblement irrésistible… Sa pauvre épouse, bien au courant de ces affaires, ne pouvant y faire grand-chose, se résigna et s’occupa de ses enfants.

Valentine Prat

Fort heureusement, cela ne dura pas éternellement et Henri finit par être bien moins volage.


Puisque c’est fini entre nous, j’épouserai le premier venu !

La petite sœur, Hélène, eut lorsqu’elle était jeune adulte une histoire d’amour avec Etienne D. Tous deux étaient follement amoureux l’un de l’autre. La famille D. considérait déjà la jeune Hélène comme leur belle-fille, mais la famille Prat n’était au courant de rien.
La guerre éclata alors en 1914. Etienne fut envoyé au front et continuait à envoyer des lettres torrides à sa bien-aimée qui faisait de même, espérant que la guerre se finisse vite pour qu’elle puisse l’épouser et être heureuse.

Et la guerre finit.

Hélène Prat

Peu avant le retour d’Etienne, le père d’Hélène reçut une lettre d’un ami de la famille. Cet ami était le père de Max et de Sacha. Sacha et Hélène étaient amies depuis leur plus tendre enfance et elle connaissait le grand frère, un peu gauche, séduisant mais maladivement timide. Elle n’avait jamais fait attention à lui. Et pourtant ! Cette lettre, venue du père de Max, demandait très officiellement à M. Prat la main d’Hélène pour son fils. Le très sérieux lieutenant-colonel alla voir sa fille et lui fit remarquer qu’elle était bien cachotière et qu’il ne se doutait pas qu’elle et Max avaient envie de se marier. Hélène fut autant surprise que son père, elle qui ne se doutait de rien ! Elle ne voulait pas épouser ce Max, elle voulait épouser Etienne !

Etienne fut enfin démobilisé. Mais quelque chose avait changé ; il en avait « gros sur le cœur ». Il avoua à Hélène qu’il avait eu une liaison avec une jeune femme dans le nord de la France, fille d’un aubergiste. Il assura à Hélène qu’il n’aimait pas cette fille, qu’il n’en voulait pas. Mais cette jeune fille lui annonça qu’elle était enceinte et qu’il ne pouvait pas la laisser ainsi.
Etienne, contre son gré, se résigna. Cette aventure lui coûtait chère : sa liberté. Il promit à la fille enceinte de l’épouser.

Hélène en fut très affectée et énervée. En rentrant chez ses parents, elle brûla les lettres d’Etienne. Puis, dès le lendemain, elle prit la plume. Après tout, si elle ne pouvait pas être heureuse avec l’homme qu’elle aimait, autant se moquer de l’avenir. Elle écrivit une autre lettre. A Max. Elle acceptait de l’épouser.

Hélène coupa les ponts avec Etienne, pour l’oublier, pour construire son avenir avec celui qui devint ensuite son époux : Max.

La femme d’Etienne accoucha un an après leur mariage.

De la fuite à l’asile : la tragédie d’Elizabeth

En général, j’essaie de sourire de ces histoires de maris et femmes volages. Mais l’histoire de la fille aînée de la famille Prat, Elizabeth, n’arrive pas à m’arracher un sourire ; au contraire, elle est édifiante et assez terrible.

Si vous avez lu l’article sur les Amours Déçues, vous savez comment Elizabeth a rencontré son époux, Edmond. Un cousin un peu désargenté, un amour fou et réciproque, un refus par le père de cette union avant d’accepter suite au désespoir dangereux de sa fille aînée.
Elizabeth était fougueuse et convola avec son bien-aimé. Sauf que… elle fut très vite désenchantée…
Son mari était quasiment impuissant et elle était insatisfaite de ceci. Elle apprit à le connaître et elle l’appréciait de moins en moins. C’était réciproque. Elle espérait avoir un enfant, mais n’y arrivait pas. Le fait qu’Edmond ne puisse pas vraiment être « présent » est une chose, mais ce n’était pas ce qui l’empêchait de tomber enceinte ; d’ailleurs Edmond n’avait rien à voir là-dedans. Malgré des traitements, Elizabeth n’arrivait pas à tomber enceinte. Elle subit ce qui devait être une petite opération pour l’aider. Mais le chirurgien découvrit un kyste de la taille d’un citron (!) et dut enlever tout l’appareil reproductif de la pauvre Elizabeth.

Après cela, rien ne fut plus pareil pour elle. Elle faisait du piano sans cesse, tentait de s’occuper, mais supportait de moins en moins son mari, sa vie. Alors qu’ils vivaient à Paris, elle disparut de chez son mari. Elle n’était pas partie seule…
Elizabeth s’est enfuie avec son amant, Paul (je garde son nom de famille pour moi). Ce Paul était professeur au conservatoire, grand musicien à l’époque et surtout… il était le meilleur ami d’Edmond !
Sa femme et son meilleur ami s’enfuirent sur la Côte-d’Azur. Mais ça ne dura pas. Personne ne sait ce qui s’est passé sur la Côte-d’Azur ni combien de temps leur liaison dura, ni même, exactement, où ils furent.

Un jour, Elizabeth débarqua chez ses parents, à Marseille. Amaigrie, l’air perdue, elle déposa ses bagages et resta chez eux. Elle ne dit jamais rien sur ce qu’il s’était passé. Seule confidence, elle avait quitté son mari.
Le père Prat n’était bien sûr pas ravi d’avoir chez lui sa fille mariée qui avait largué son mari, alors que lui-même avait toujours détesté ce prétendant et avait refusé, dans un premier temps, le mariage.
Elizabeth montrait des signes graves de problèmes « nerveux ». Angoissée et paranoïaque, craignant qu’on lui veuille du mal, qu’on l’empoisonne, elle avait beaucoup changé. Terminé le temps où elle faisait les délices des salons en jouant du piano et en se faisant courtiser sans cesse.

Quand la guerre fut finie, le père Prat en eut assez de la situation et décida de renvoyer Elizabeth chez son époux. Geste assez cruel en apparence, mais je ne saurais dire exactement ce qui motiva cette décision.
Il envoya un télégramme à Edmond, pour lui signifier que son épouse serait dans tel train, tel jour.

Pour Edmond, il était hors de question de vivre avec Elizabeth. Une séparation était une chose, mais ce qui s’ensuivit fut terrible. Edmond accueillit Elizabeth à la sortie du train en l’envoyant directement dans un asile.

La jeune femme y fut enfermée un an, sans possibilité de contact avec l’extérieur. Et ce, jusqu’en février 1920 où les parents d’Elizabeth reçurent une lettre annonçant le décès de leur fille dans l’hôpital psychiatrique. Edmond annonçait la nouvelle, elle serait morte de la grippe espagnole.

Ainsi mourut à 35 ans une jeune femme qui semblait n’avoir pour avenir que le bonheur, mais qui ne connut que désillusion, souffrance et finalement déchéance.

Pour conclure cet article, je tiens à dire que tout ce qui a été raconté est réel. Le nombres de sources ne permet pas d’être absolument certain de la véracité de chaque détail, mais je vous les ai livrés tels qu’ils ont été rapportés à l’époque par des contemporains.
Quand on fait de la généalogie, notre généalogie, on a souvent deux tendances. D’abord, il y a l’anonymisation de nos ancêtres : ils sont tellement nombreux suivant la génération qu’ils sont un parmi d’autres et cela les désincarne un peu. L’autre tendance est l’idéalisation : on idéalise les ancêtres, retenant les faits glorieux pour les uns, l’exaltation d’un monde rural perdu pour d’autres, ou encore le fait qu’ils ont été malheureux à cause de circonstances (épidémies, disettes, oppression par un « pouvoir » en place).
Ces histoires m’ont servi et j’espère qu’elles vous serviront, à rappeler que nos ancêtres étaient comme nous. Nos ancêtres étaient imparfaits, torturés, tout en nuances. Ils étaient humains. Nous le sommes aussi.
Ce sont ces imperfections qui rendent nos ancêtres si chers à nos yeux.

A leur mémoire et plus encore, à leurs vies.
(en haut de gauche à droite : Mathilde Patte, Léon fils, Valentine, Elizabeth. Au premier plan : Hélène et Marcel)


samedi 18 mai 2019

Guide de survie du généalogiste en milieu... normal



La généalogie c’est bien. Mais ça nous transforme un peu… Quand le généalogiste est en société, il est alors l’objet de curiosité, entre fascination et répulsion.

L’an dernier mon frère s’est marié et j’ai été son témoin. Ravi du mariage et d’être choisi pour témoin, il m’est quand même venu une pensée bizarre que je ne partage qu’avec vous, chers lecteurs. J’allais signer sur un acte de mariage.
Oui. J’allais être témoin.
Et j’ai pensé à ces générations futures qui, faisant de la généalogie, me noteraient en témoin de mariage. Du coup, quand j’ai signé, en mairie et à l’église, j’ai fait une belle signature pour la postérité.

Si je dis ça à mon frère, pour qui la généalogie est la lubie de son frère, il va me regarder étrangement, lever un sourcil puis, après hésitations, me dire : « Hein ? J’ai rien compris. »

Car nous sommes bizarres. Les généalogistes sont bizarres.

Les gens normaux, quand vous dites que vous faites de la généalogie, vous posent des questions comme : 
« T’es remonté jusqu’où ? »
« Tu descends de Jeanne d’Arc ? parce que moi, oui »
« T’es noble ? »
« Pourquoi tu fais ça ? Tu veux hériter de quelqu’un ? »
« C’est quoi l’intérêt ? »
« Et sinon, tu peux me passer le sel ? »

Et faut surtout pas répondre sérieusement. Ni se moquer. Ni bouder. Dans l’idéal, faut prendre un air détaché et dire que c’est un passe-temps, que non, c’est une légende j’ai pas de blog.
Ou dire, sur un ton hipster : « oui, je m’intéresse à l’anthropologie familiale à l’époque moderne, aux systèmes d’alliance en zones rurales et urbaines ; d’ailleurs, tu savais que tatie Ursule était née à Roquefort-la-Bédoule et pas à Althen-les-Paluds ?!!! Dingue hein ! C’est qui ? Euh… »

C’est la raison pour laquelle cet article me semble important. Donner les clés au généalogiste pour interagir avec le Monde Normal, celui des non-initiés.
Faut être compréhensif. Quand l’oncle Ernest vous parle de sa passion pour les sifflets imitant tous les oiseaux, dont la Talève sultane ! et que vous levez les yeux au ciel en priant pour être foudroyé, il faut vous dire que vous pouvez avoir le même effet sur les autres, y compris tonton Ernest !!

D’où quelques conseils, à suivre pour votre propre sécurité.

1.       Si on vous pose une question sur la généalogie, pensez que la personne en face a peut-être une curiosité limitée.
Si au bout d’un quart d’heure, vous répondez toujours à la question et que votre interlocuteur a un regard vide, arrêtez-vous immédiatement. Même si vous êtes au milieu d’une phrase car de toute façon, personne écoute. Si l’autre sourit et vous répond « c’est intéressant », surtout, surtout !!, ne pensez pas que ça veut dire « dis m’en plus ».

2.       Si on ne vous pose pas de question sur la généalogie, n’y répondez pas.
Ca paraît absurde, mais non. Ou peut-être. Enfin, bon…

3.       Tout sujet de discussion n’est pas l’occasion de placer une anecdote généalogique.
Ainsi, si votre interlocuteur a passé de ravissantes vacances à Locmariaquer, inutile de préciser qu’une cousine au 7e degré y a vécu de 1726 à 1729 et de raconter ensuite toute sa vie, y compris que la brave Perrine Leglouec s’est mariée avec son cousin et qu’il a fallu une dispense de consanguinité du 3e au 4e degré, d’ailleurs vous savez comment ça marche en droit canonique ? Je vais vous dire.

4.       Photographier des tombes pour sauvegarder le patrimoine, c’est bien. Attention de ne pas le faire au moment d’un enterrement.
Tout est dans les deux phrases ci-dessus. Je précise : même si c’est l’enterrement de la belle-mère, c’est pas une raison.

5.       Si on vous dit que la généalogie c’est pour les vieux, que ça sert à rien ou autre, restez zen.
Pensez d’abord positivement, que vous êtes dans la nature à l’ombre d’un majestueux arbre aux ramifications multiples. Puis… non en fait, je conseille le crochet du droit. C’est un blog de généalogie ici, je vais pas donner des conseils de survie pour les non-initiés ! Le temps du dialogue viendra plus tard avec les échanges de politesse, La généalogie ça sert rien, Parce que toi tu sers à quelque chose ?, Je suis ta mère !, etc. Bref.

6.       La généalogie étant une passion old-school, rajeunissez-la.
Live-twittez l’atelier de paléographie du vendredi, deuxième du mois, à la salle des fêtes de Beaumont-de-Pertuis.
Faites une vidéo avec des filtres Snapchat en direct des AD avec l’archiviste. Je conseille la licorne qui vomit de l’arc-en-ciel.
Partagez sur Facebook cet article. C’est pour vous que je dis ça.
Si vous allez dîner chez vos parents, restez sur votre téléphone pour échanger des messages blasés avec vos potes généalogistes sur WhatsApp « J’suis chez les parents. Trop la lose. Vivement qu’j’me casse. T’es dispo ce soir ? Sérieux, ça s’rait cool qu’on se fasse une soirée mise à jour des sources Hérédis »

En somme, suivez ces conseils pour votre propre bien-être. Ou alors, faites ce que vous voulez, à vos risques et périls !
Si vous avez des suggestions pour le Guide de survie, n’hésitez pas à les partager en commentaire, ici ou ailleurs, ou par télépathie si vous aussi vous êtes blasés d’écrire parce que franchement, écrire ça fait tellement 2014, c’est mieux YouTube.

Merci de m’avoir lu et à très vite pour un autre article futile à votre survie !

seth meyers thank you GIF by Late Night with Seth Meyers

lundi 6 mai 2019

Les amours déçues : quand la famille s’en mêle


Aujourd’hui, chers lecteurs, parlons un peu d’Amour. Car dans neuf mois c’est la Saint-Valentin !
L’amour n’est pas toujours réciproque, c’est un fait. Mais, même lorsqu’il est réciproque, la famille peut intervenir, dire nein ! et vos espoirs deviennent désespoir. Sur cette note joyeuse, allons-y !

L’argent

Mon aïeul (trisaïeule même !) Mathilde Patte est née en 1859 aux Pays-Bas. Sa famille y était dans le négoce de vins et spiritueux. Du moins son père ; le frère de celui-ci était dans la ganterie. Une bonne famille bourgeoise qui était de Valenciennes, quoi ! Et elle était amoureuse ! Oui, amoureuse !
De qui ?
De son cousin ! Plus exactement son cousin issu de germain, Albert Bruneau (1857-1951). Et c’était réciproque ! Fils d’un riche pharmacien, petit-fils par sa mère d’un filateur de lin (les fameux filateurs du Nord), Albert Bruneau devint ensuite « brasseur »… en fait, ça veut dire qu’il possédait une usine qui fabriquait de la bière. Cet amour de jeunesse fut rapidement déçu car Mathilde n’était pas assez riche pour épouser son cousin : sa dot, trop maigre, ne satisfaisait pas les attentes des parents Bruneau. En en parlant avec ma grand-mère, 93 ans et toujours espiègle, celle-ci me répondit : « Ça explique pourquoi il venait si souvent nous voir à Marseille alors qu’il vivait à Lille ».

Albert Bruneau

Disons que cet amour déçu me permet d’être là aujourd’hui, car après ce béguin, mon arrière-arrière-grand-mère rencontra mon arri… mon aïeul. En effet, Léon Prat, jeune officier en garnison à Condé, dans le Nord, fut amené à rencontrer la famille Patte. Ceux-ci l’aimant bien et lui, cherchant probablement une épouse, trouva Mathilde à son goût et demanda aux parents, formellement, le droit de faire la cour à leur fille. Oui, tout à fait. Ce fut accordé et ils convinrent de se marier.
Ils se sont entendus, ont eu 5 enfants et sont tombés très amoureux l’un de l’autre. Comme quoi !

Léon Prat et Mathilde Patte, mes arrières-arrières-grands-parents

La religion

Léon Prat, de son côté, a aussi vécu une expérience similaire. Il est né en 1851 à Lorient, en Bretagne. Son père était d’origine très modeste puisque fils d’un brassier. Rien à voir avec le brasseur, hein ; le brassier n’avait pour usine que ses bras et vivait du travail qu’on lui donnait le matin même, souvent dans les champs : un journalier, en somme. Il partit donc pour la Bretagne où, cordonnier, il finit par travailler pour l’arsenal de Lorient, s’occupant de chausser les soldats et officiers. Il eut ainsi l’opportunité de se faire un réseau qui fut utile à ses enfants.
C’est ainsi que Léon Prat, jeune, rencontra la famille Caen. Riche famille dont le père considérait le jeune Léon comme un fils. Et le jeune Léon tomba amoureux de la fille. Et elle en pinçait aussi pour lui.
Alors, le jeune Léon demanda à M. Caen s’il pouvait se fiancer avec sa fille. Ce fut un refus net. Malgré toute l’affection de M. Caen pour Léon Prat, il ne pouvait déroger à une règle ancestrale : le mariage entre coreligionnaires. Car les Caen étaient juifs.

M. Caen.

Il s’est passé exactement la même histoire avec le fils de Léon, Marcel Prat, et la fille de cette demoiselle Caen, Charlotte. Amour déçu, encore. Cette dernière épousa un homme juif et ils eurent deux filles. Très tôt veuve, puis remariée à un catholique cette fois-ci, elle vécut une tragédie qui aurait pu l’emporter sans ce second mariage : l’Occupation. Ses deux enfants furent déportées et disparurent dans l’horreur des camps nazis.
Très attachée à Marcel Prat, Charlotte continua pendant bien longtemps de correspondre avec lui. Après la Seconde guerre, elle lui écrivit ceci : « J’ai touché le fond de l’abîme en perdant tous ceux qui m’étaient chers. »

Marcel Prat est mon arrière-grand-père et c’est bien après cette rencontre avec Charlotte qu’il rencontra Mélanie Lefèvre, mon aïeule. Dans un mariage tout à fait arrangé par une marieuse : « La Générale » car épouse du général Ravenez, sa marraine de guerre dont l’époux avait fait Saint-Cyr avec celui qui deviendra son beau-père (ce paragraphe est sponsorisé par Ibuprofène).

Mon arrière-grand-père, Marcel Prat.


La famille

Nous avons vu que Léon Prat et Mathilde Patte ont fini par se marier et sont les parents de Marcel Prat. Ils ont aussi eu une fille Valentine.

Cette dernière, après ses années de pensionnat, revint chez ses parents quelques temps. Son grand-oncle maternel, Ernest Patte, très apprécié, suggéra aux parents de la demoiselle que cette dernière devait peut-être trouver à se marier. Il suggéra un jeune homme, un cousin à eux, Henri Monchicourt. Celui-ci vivait avec ses parents à Milan, où son père a été un temps représentant de la marque Poure et Blanzy (plumes métalliques) pour toute l’Italie. Guère étonnant car ce représentant était le fils de Vincent Monchicourt qui avait fondé une entreprise de plumes métalliques à son nom qu’il arrêta lorsque l’usine fut brûlée durant la Commune. Ils s’y connaissaient en plumes !

A ce moment-là, les Prat vivaient à Amiens (nous étions en 1905). Les parents acceptèrent l’offre de l’oncle Ernest pour faire se rencontrer les jeunes gens. Henri fit donc un voyage Milan-Amiens et trouva la jeune Valentine agréable ; il n’était pas contre l’idée de l’épouser. Après avoir, dans les règles, été autorisé à faire la cour à la jeune fille, la famille décida que ça suffisait et qu’on les marierait au printemps 1906.

Valentine et Henri ne se connaissaient pas et le bref séjour suffit aux familles à décider de l’union. Le mariage ne fut pas malheureux et le couple eut trois enfants. Malgré tout, un petit revers de fortune obligea le couple à quitter l’Italie pour s’installer à Paris. Mariage sans éclat, sans passion et totalement arrangé.

Valentine Prat et son époux, Henri Monchicourt


L’amour qui triomphe !

Parfois, ceci dit, l’amour triomphe ! L’histoire que je vais vous conter, comme les autres, est bien sûr véridique, malgré son côté romanesque.

Elizabeth Prat, sœur de Valentine et Marcel, fille de Léon et Mathilde Patte (vous suivez ?) était l’aînée de la fratrie. Un jour, un cousin désargenté vint rendre visite à la famille : Edmond Carrette. Elle en tomba follement amoureuse et lui tomba follement amoureux de sa cousine. Edmond Carrette alla parler au père de la jeune femme, le très sérieux colonel Prat. Celui-ci refusa net. Il était totalement opposé à cette union.
Pourquoi ?
Parce que le jeune Edmond Carrette était un cousin et un orphelin. Autant je peux comprendre le premier argument, autant le second m’échappe un peu. Ses parents étaient en effet décédés, il lui restait sa grand-mère maternelle, sœur de la grand-mère d’Elizabeth Prat. Cette sœur, Félicie Touillez, née Patte, venait très souvent voir sa sœur Elise à Valenciennes, probablement pour être moins seule et aussi parce que du coup, elle était nourrie et logée à l’œil (ce qui est toujours mieux que de se priver de tout !).
Le père d’Elizabeth refusa ce mariage probablement parce qu’Edmond était trop « juste » financièrement. Il n’était pas pauvre, avait une situation honorable d’employé, mais ce n’était pas suffisant. De plus, Léon Prat estimait qu’Edmond Carrette « n’était pas un homme ». Bref, ça ne passait pas bien du tout.
Elizabeth en tomba malade. Alitée, désespérée, littéralement malade d’amour, son état empirait de jour en jour. Le docteur Woimant vint à son chevet et ne pouvait que constater l’état de la jeune fille. En tant qu’ami intime de la famille, il alla voir le père et lui parla franchement, ne comprenant pas les raisons qui poussait un père à refuser cette union et à laisser sa fille dans un tel état.
Léon Prat prit alors conscience de la situation et probablement aussi de son entêtement. Il autorisa alors officiellement Edmond Carrette à faire la cour à sa fille (sachant qu’ils voulaient déjà se marier, mais bon, le protocole, tout ça…).
Le couple Carrette-Prat se maria en 1906 à Amiens, la même année que le couple Monchicourt-Prat.

Elizabeth Prat et Edmond Carrette

Comme vous avez pu le constater, aimer n’était déjà pas de tout repos. J’ai décidé de limiter cet article, car je compte bien revenir sur le sujet avec d’autres histoires romanesques mais véritables !