Je vous avais parlé d’amours déçues, il y a plus d'un mois ;
ces amours où la famille s’interpose, où l’argent est à prendre en compte, où
même la religion s’immisce. Mais parfois, l’amour peut être une déception voire
une trahison !
Nos ancêtres n’étaient pas en reste. Eux aussi vivaient
à la façon de Dallas, avec leurs secrets, leurs cocufiages, maîtresses et
amants. Aujourd’hui, en digne successeur de Voici, Voilà, France Dimanche et
autres revues universitaires, Sacrés Ancêtres ! va briser le tabou de nos
ancêtres volages.
La femme du capitaine
Je vais vous parler d’une fratrie, évoquée dans l’article
précédent. Les frères et sœurs Prat. Nés entre 1884 et 1892, ces frères et sœurs
sont issus du milieu « officier ». Famille bourgeoise donc,
fréquentant notamment le milieu de la fonction publique et du négoce.
La famille Prat au complet vers 1903
L’un d’eux est mon aïeul, Marcel. Ce jeune homme
à l’époque a entamé son service militaire et était sous les ordres d’un
capitaine dont je tairai le nom.
Ce capitaine M. est vite devenu un ami de la
famille Prat, le père étant lieutenant-colonel. Il ne savait pas au début que
le jeune Marcel était fils d’officier et dès qu’il le sut, il fut très… conciliant.
Du coup, le jeune Marcel était invité souvent chez le capitaine et son épouse.
Très souvent. Trop souvent ?
La femme du capitaine avait le béguin pour le
jeune Marcel et c’était réciproque. Ainsi, quand le capitaine n’était pas là,
les deux jeunes gens (la femme du capitaine était plus âgée) se retrouvaient et
devinrent très vite amants. Une relation qui dura plusieurs années, dans le
plus grand secret.
Qu’aurait-pensé le père Prat s’il avait su que
son fils avait une liaison avec l’épouse d’un de ses amis ? Il n’en aurait
probablement pas pensé du bien.
Au début de l’année 1918, Marcel attrapa la
typhoïde et fut alité pendant de nombreuses semaines, souffrant de fièvres et de
délires. Sa petite sœur, Hélène, s’occupait de lui. Elle partit prendre du
linge propre dans la malle de Marcel, amenée à l’occasion de sa maladie chez
ses parents, et découvrit un nombre assez important de lettres enflammées entre
Marcel et la femme du capitaine. Heureusement que la sœur sut garder le
silence. Elle cacha les lettres dans sa propre chambre le temps que Marcel
guérisse de la typhoïde. Elle le « convoqua » ensuite pour une petite
explication entre quatre yeux !
Elle fit alors à son frère cette remarque : « Tu
es véritablement inconséquent et imprudent d’avoir conservé des lettres aussi
compromettantes pour une femme mariée, de plus amie de la famille ! »
Autrement dit, le problème n’était pas qu’il
avait une liaison avec une femme mariée ou que cette dernière trompe son mari…
NON ! C’est qu’il en avait gardé les preuves. La fidélité est une chose
surfaite, la réputation est prioritaire !
Mais voilà, le brave Marcel n’était pas le seul…
Une photo, c’est toujours
plus clair qu’une lettre
Le fils aîné, Léon, était militaire de carrière
comme son père. Dès l’enfance, il fut envoyé en pension au Prytanée Militaire
avant d’intégrer Saint-Cyr.
Dès le mois d’août 1914, Léon fut blessé au
front, assez gravement. Une balle lui avait traversé les deux cuisses et il fut
soigné d’urgence dans les Ardennes avant d’être envoyé dans un hôpital à Lyon.
Là-bas, il fut soigné par Mme D. (pareil, je garde confidentiel le nom).
Infirmière à l’occasion de la guerre, c’était une amie du père Prat… ainsi que
son mari…
Vous avez compris où je veux en venir !
A partir de ce moment-là, une liaison torride s’installa
entre le jeune officier et la femme mariée.
Après avoir été remis sur pied, le jeune Léon
repartit au front. Mais pas pour longtemps car il fut fait prisonnier par les
Allemands. Envoyé dans un camp de prisonniers, l’armée renvoya ses affaires chez
ses parents…
Si je vous dis qu’ils ont envoyé une malle ?
Vous voyez le lien avec l’histoire d’avant ?
En effet. Et oui, votre déduction est
probablement correcte.
Léon Prat (à gauche) et son frère Marcel Prat (à droite)
La jeune Hélène, à la demande de sa mère, eut à s’occuper
de vider la malle du linge pour le confier à laver. En faisant le tri, la jeune
sœur tomba… sur un paquet de lettres enflammées ! Mais en plus, il y avait
des photos qui… comment dire… étaient assez compromettantes !
Rebelote, cacher les lettres, attendre que le
frère revienne, discussion, « et notre réputation ! », etc. Pour
citer Hélène Prat : « Décidément, mes frères avaient peu de
scrupules ! »
Rendez-vous chez l’antiquaire
Je vous avais parlé d’une des filles Prat,
Valentine. Elle avait épousé son cousin, Henri Monchicourt et vivait à Milan.
Le père de Henri, d’abord représentant pour une marque de plumes à écrire qui
lui a assuré un très confortable niveau de vie, était surtout un amateur
éclairé d’art. Tableaux, sculptures, antiquités, livres rares. Il avait une
collection assez importante et initia son fils qui en fit un métier. Ce dernier
ouvrit un très grand magasin à Milan utilisant pour se lancer quelques pièces
de la collection de son père.
Le commerce marchait très bien et le gratin
milanais (dit comme ça…) fréquentait la boutique. Henri eut alors plusieurs
maîtresses, notamment quelques dames venues passer quelques temps à Milan en villégiature.
Il se croyait visiblement irrésistible… Sa pauvre épouse, bien au courant de
ces affaires, ne pouvant y faire grand-chose, se résigna et s’occupa de ses
enfants.
Fort heureusement, cela ne dura pas éternellement
et Henri finit par être bien moins volage.
Puisque c’est fini entre
nous, j’épouserai le premier venu !
La petite sœur, Hélène, eut lorsqu’elle était jeune
adulte une histoire d’amour avec Etienne D. Tous deux étaient follement
amoureux l’un de l’autre. La famille D. considérait déjà la jeune Hélène comme
leur belle-fille, mais la famille Prat n’était au courant de rien.
La guerre éclata alors en 1914. Etienne fut
envoyé au front et continuait à envoyer des lettres torrides à sa bien-aimée
qui faisait de même, espérant que la guerre se finisse vite pour qu’elle puisse
l’épouser et être heureuse.
Et la guerre finit.
Hélène Prat
Peu avant le retour d’Etienne, le père d’Hélène
reçut une lettre d’un ami de la famille. Cet ami était le père de Max et de
Sacha. Sacha et Hélène étaient amies depuis leur plus tendre enfance et elle
connaissait le grand frère, un peu gauche, séduisant mais maladivement timide.
Elle n’avait jamais fait attention à lui. Et pourtant ! Cette lettre,
venue du père de Max, demandait très officiellement à M. Prat la main d’Hélène
pour son fils. Le très sérieux lieutenant-colonel alla voir sa fille et lui fit
remarquer qu’elle était bien cachotière et qu’il ne se doutait pas qu’elle et
Max avaient envie de se marier. Hélène fut autant surprise que son père, elle
qui ne se doutait de rien ! Elle ne voulait pas épouser ce Max, elle voulait
épouser Etienne !
Etienne fut enfin démobilisé. Mais quelque chose
avait changé ; il en avait « gros sur le cœur ». Il avoua à
Hélène qu’il avait eu une liaison avec une jeune femme dans le nord de la France,
fille d’un aubergiste. Il assura à Hélène qu’il n’aimait pas cette fille, qu’il
n’en voulait pas. Mais cette jeune fille lui annonça qu’elle était enceinte et
qu’il ne pouvait pas la laisser ainsi.
Etienne, contre son gré, se résigna. Cette
aventure lui coûtait chère : sa liberté. Il promit à la fille enceinte de
l’épouser.
Hélène en fut très affectée et énervée. En
rentrant chez ses parents, elle brûla les lettres d’Etienne. Puis, dès le
lendemain, elle prit la plume. Après tout, si elle ne pouvait pas être heureuse
avec l’homme qu’elle aimait, autant se moquer de l’avenir. Elle écrivit une
autre lettre. A Max. Elle acceptait de l’épouser.
Hélène coupa les ponts avec Etienne, pour l’oublier,
pour construire son avenir avec celui qui devint ensuite son époux : Max.
La femme d’Etienne accoucha un an après leur
mariage.
De la fuite à l’asile :
la tragédie d’Elizabeth
En général, j’essaie de sourire de ces histoires
de maris et femmes volages. Mais l’histoire de la fille aînée de la famille
Prat, Elizabeth, n’arrive pas à m’arracher un sourire ; au contraire, elle
est édifiante et assez terrible.
Si vous avez lu l’article sur les Amours Déçues,
vous savez comment Elizabeth a rencontré son époux, Edmond. Un cousin un peu
désargenté, un amour fou et réciproque, un refus par le père de cette union
avant d’accepter suite au désespoir dangereux de sa fille aînée.
Elizabeth était fougueuse et convola avec son
bien-aimé. Sauf que… elle fut très vite désenchantée…
Son mari était quasiment impuissant et elle était
insatisfaite de ceci. Elle apprit à le connaître et elle l’appréciait de moins
en moins. C’était réciproque. Elle espérait avoir un enfant, mais n’y arrivait
pas. Le fait qu’Edmond ne puisse pas vraiment être « présent » est
une chose, mais ce n’était pas ce qui l’empêchait de tomber enceinte ; d’ailleurs
Edmond n’avait rien à voir là-dedans. Malgré des traitements, Elizabeth n’arrivait
pas à tomber enceinte. Elle subit ce qui devait être une petite opération pour
l’aider. Mais le chirurgien découvrit un kyste de la taille d’un citron (!) et
dut enlever tout l’appareil reproductif de la pauvre Elizabeth.
Après cela, rien ne fut plus pareil pour elle.
Elle faisait du piano sans cesse, tentait de s’occuper, mais supportait de
moins en moins son mari, sa vie. Alors qu’ils vivaient à Paris, elle disparut
de chez son mari. Elle n’était pas partie seule…
Elizabeth s’est enfuie avec son amant, Paul (je
garde son nom de famille pour moi). Ce Paul était professeur au conservatoire,
grand musicien à l’époque et surtout… il était le meilleur ami d’Edmond !
Sa femme et son meilleur ami s’enfuirent sur la
Côte-d’Azur. Mais ça ne dura pas. Personne ne sait ce qui s’est passé sur la
Côte-d’Azur ni combien de temps leur liaison dura, ni même, exactement, où ils
furent.
Un jour, Elizabeth débarqua chez ses parents, à
Marseille. Amaigrie, l’air perdue, elle déposa ses bagages et resta chez eux.
Elle ne dit jamais rien sur ce qu’il s’était passé. Seule confidence, elle
avait quitté son mari.
Le père Prat n’était bien sûr pas ravi d’avoir chez
lui sa fille mariée qui avait largué son mari, alors que lui-même avait
toujours détesté ce prétendant et avait refusé, dans un premier temps, le
mariage.
Elizabeth montrait des signes graves de problèmes
« nerveux ». Angoissée et paranoïaque, craignant qu’on lui veuille du
mal, qu’on l’empoisonne, elle avait beaucoup changé. Terminé le temps où elle
faisait les délices des salons en jouant du piano et en se faisant courtiser
sans cesse.
Quand la guerre fut finie, le père Prat en eut
assez de la situation et décida de renvoyer Elizabeth chez son époux. Geste
assez cruel en apparence, mais je ne saurais dire exactement ce qui motiva
cette décision.
Il envoya un télégramme à Edmond, pour lui signifier
que son épouse serait dans tel train, tel jour.
Pour Edmond, il était hors de question de vivre
avec Elizabeth. Une séparation était une chose, mais ce qui s’ensuivit fut
terrible. Edmond accueillit Elizabeth à la sortie du train en l’envoyant
directement dans un asile.
La jeune femme y fut enfermée un an, sans
possibilité de contact avec l’extérieur. Et ce, jusqu’en février 1920 où les
parents d’Elizabeth reçurent une lettre annonçant le décès de leur fille dans l’hôpital
psychiatrique. Edmond annonçait la nouvelle, elle serait morte de la grippe
espagnole.
Ainsi mourut à 35 ans une jeune femme qui semblait
n’avoir pour avenir que le bonheur, mais qui ne connut que désillusion, souffrance
et finalement déchéance.
Pour conclure cet article, je tiens à dire que
tout ce qui a été raconté est réel. Le nombres de sources ne permet pas d’être
absolument certain de la véracité de chaque détail, mais je vous les ai livrés
tels qu’ils ont été rapportés à l’époque par des contemporains.
Quand on fait de la généalogie, notre généalogie,
on a souvent deux tendances. D’abord, il y a l’anonymisation de nos ancêtres :
ils sont tellement nombreux suivant la génération qu’ils sont un parmi d’autres
et cela les désincarne un peu. L’autre tendance est l’idéalisation : on
idéalise les ancêtres, retenant les faits glorieux pour les uns, l’exaltation d’un
monde rural perdu pour d’autres, ou encore le fait qu’ils ont été malheureux à cause
de circonstances (épidémies, disettes, oppression par un « pouvoir »
en place).
Ces histoires m’ont servi et j’espère qu’elles
vous serviront, à rappeler que nos ancêtres étaient comme nous. Nos ancêtres étaient
imparfaits, torturés, tout en nuances. Ils étaient humains. Nous le sommes
aussi.
Ce sont ces imperfections qui rendent nos
ancêtres si chers à nos yeux.
A leur mémoire et plus encore, à leurs vies.
(en haut de gauche à droite : Mathilde Patte, Léon fils, Valentine, Elizabeth. Au premier plan : Hélène et Marcel)