samedi 18 mai 2019

Guide de survie du généalogiste en milieu... normal



La généalogie c’est bien. Mais ça nous transforme un peu… Quand le généalogiste est en société, il est alors l’objet de curiosité, entre fascination et répulsion.

L’an dernier mon frère s’est marié et j’ai été son témoin. Ravi du mariage et d’être choisi pour témoin, il m’est quand même venu une pensée bizarre que je ne partage qu’avec vous, chers lecteurs. J’allais signer sur un acte de mariage.
Oui. J’allais être témoin.
Et j’ai pensé à ces générations futures qui, faisant de la généalogie, me noteraient en témoin de mariage. Du coup, quand j’ai signé, en mairie et à l’église, j’ai fait une belle signature pour la postérité.

Si je dis ça à mon frère, pour qui la généalogie est la lubie de son frère, il va me regarder étrangement, lever un sourcil puis, après hésitations, me dire : « Hein ? J’ai rien compris. »

Car nous sommes bizarres. Les généalogistes sont bizarres.

Les gens normaux, quand vous dites que vous faites de la généalogie, vous posent des questions comme : 
« T’es remonté jusqu’où ? »
« Tu descends de Jeanne d’Arc ? parce que moi, oui »
« T’es noble ? »
« Pourquoi tu fais ça ? Tu veux hériter de quelqu’un ? »
« C’est quoi l’intérêt ? »
« Et sinon, tu peux me passer le sel ? »

Et faut surtout pas répondre sérieusement. Ni se moquer. Ni bouder. Dans l’idéal, faut prendre un air détaché et dire que c’est un passe-temps, que non, c’est une légende j’ai pas de blog.
Ou dire, sur un ton hipster : « oui, je m’intéresse à l’anthropologie familiale à l’époque moderne, aux systèmes d’alliance en zones rurales et urbaines ; d’ailleurs, tu savais que tatie Ursule était née à Roquefort-la-Bédoule et pas à Althen-les-Paluds ?!!! Dingue hein ! C’est qui ? Euh… »

C’est la raison pour laquelle cet article me semble important. Donner les clés au généalogiste pour interagir avec le Monde Normal, celui des non-initiés.
Faut être compréhensif. Quand l’oncle Ernest vous parle de sa passion pour les sifflets imitant tous les oiseaux, dont la Talève sultane ! et que vous levez les yeux au ciel en priant pour être foudroyé, il faut vous dire que vous pouvez avoir le même effet sur les autres, y compris tonton Ernest !!

D’où quelques conseils, à suivre pour votre propre sécurité.

1.       Si on vous pose une question sur la généalogie, pensez que la personne en face a peut-être une curiosité limitée.
Si au bout d’un quart d’heure, vous répondez toujours à la question et que votre interlocuteur a un regard vide, arrêtez-vous immédiatement. Même si vous êtes au milieu d’une phrase car de toute façon, personne écoute. Si l’autre sourit et vous répond « c’est intéressant », surtout, surtout !!, ne pensez pas que ça veut dire « dis m’en plus ».

2.       Si on ne vous pose pas de question sur la généalogie, n’y répondez pas.
Ca paraît absurde, mais non. Ou peut-être. Enfin, bon…

3.       Tout sujet de discussion n’est pas l’occasion de placer une anecdote généalogique.
Ainsi, si votre interlocuteur a passé de ravissantes vacances à Locmariaquer, inutile de préciser qu’une cousine au 7e degré y a vécu de 1726 à 1729 et de raconter ensuite toute sa vie, y compris que la brave Perrine Leglouec s’est mariée avec son cousin et qu’il a fallu une dispense de consanguinité du 3e au 4e degré, d’ailleurs vous savez comment ça marche en droit canonique ? Je vais vous dire.

4.       Photographier des tombes pour sauvegarder le patrimoine, c’est bien. Attention de ne pas le faire au moment d’un enterrement.
Tout est dans les deux phrases ci-dessus. Je précise : même si c’est l’enterrement de la belle-mère, c’est pas une raison.

5.       Si on vous dit que la généalogie c’est pour les vieux, que ça sert à rien ou autre, restez zen.
Pensez d’abord positivement, que vous êtes dans la nature à l’ombre d’un majestueux arbre aux ramifications multiples. Puis… non en fait, je conseille le crochet du droit. C’est un blog de généalogie ici, je vais pas donner des conseils de survie pour les non-initiés ! Le temps du dialogue viendra plus tard avec les échanges de politesse, La généalogie ça sert rien, Parce que toi tu sers à quelque chose ?, Je suis ta mère !, etc. Bref.

6.       La généalogie étant une passion old-school, rajeunissez-la.
Live-twittez l’atelier de paléographie du vendredi, deuxième du mois, à la salle des fêtes de Beaumont-de-Pertuis.
Faites une vidéo avec des filtres Snapchat en direct des AD avec l’archiviste. Je conseille la licorne qui vomit de l’arc-en-ciel.
Partagez sur Facebook cet article. C’est pour vous que je dis ça.
Si vous allez dîner chez vos parents, restez sur votre téléphone pour échanger des messages blasés avec vos potes généalogistes sur WhatsApp « J’suis chez les parents. Trop la lose. Vivement qu’j’me casse. T’es dispo ce soir ? Sérieux, ça s’rait cool qu’on se fasse une soirée mise à jour des sources Hérédis »

En somme, suivez ces conseils pour votre propre bien-être. Ou alors, faites ce que vous voulez, à vos risques et périls !
Si vous avez des suggestions pour le Guide de survie, n’hésitez pas à les partager en commentaire, ici ou ailleurs, ou par télépathie si vous aussi vous êtes blasés d’écrire parce que franchement, écrire ça fait tellement 2014, c’est mieux YouTube.

Merci de m’avoir lu et à très vite pour un autre article futile à votre survie !

seth meyers thank you GIF by Late Night with Seth Meyers

lundi 6 mai 2019

Les amours déçues : quand la famille s’en mêle


Aujourd’hui, chers lecteurs, parlons un peu d’Amour. Car dans neuf mois c’est la Saint-Valentin !
L’amour n’est pas toujours réciproque, c’est un fait. Mais, même lorsqu’il est réciproque, la famille peut intervenir, dire nein ! et vos espoirs deviennent désespoir. Sur cette note joyeuse, allons-y !

L’argent

Mon aïeul (trisaïeule même !) Mathilde Patte est née en 1859 aux Pays-Bas. Sa famille y était dans le négoce de vins et spiritueux. Du moins son père ; le frère de celui-ci était dans la ganterie. Une bonne famille bourgeoise qui était de Valenciennes, quoi ! Et elle était amoureuse ! Oui, amoureuse !
De qui ?
De son cousin ! Plus exactement son cousin issu de germain, Albert Bruneau (1857-1951). Et c’était réciproque ! Fils d’un riche pharmacien, petit-fils par sa mère d’un filateur de lin (les fameux filateurs du Nord), Albert Bruneau devint ensuite « brasseur »… en fait, ça veut dire qu’il possédait une usine qui fabriquait de la bière. Cet amour de jeunesse fut rapidement déçu car Mathilde n’était pas assez riche pour épouser son cousin : sa dot, trop maigre, ne satisfaisait pas les attentes des parents Bruneau. En en parlant avec ma grand-mère, 93 ans et toujours espiègle, celle-ci me répondit : « Ça explique pourquoi il venait si souvent nous voir à Marseille alors qu’il vivait à Lille ».

Albert Bruneau

Disons que cet amour déçu me permet d’être là aujourd’hui, car après ce béguin, mon arrière-arrière-grand-mère rencontra mon arri… mon aïeul. En effet, Léon Prat, jeune officier en garnison à Condé, dans le Nord, fut amené à rencontrer la famille Patte. Ceux-ci l’aimant bien et lui, cherchant probablement une épouse, trouva Mathilde à son goût et demanda aux parents, formellement, le droit de faire la cour à leur fille. Oui, tout à fait. Ce fut accordé et ils convinrent de se marier.
Ils se sont entendus, ont eu 5 enfants et sont tombés très amoureux l’un de l’autre. Comme quoi !

Léon Prat et Mathilde Patte, mes arrières-arrières-grands-parents

La religion

Léon Prat, de son côté, a aussi vécu une expérience similaire. Il est né en 1851 à Lorient, en Bretagne. Son père était d’origine très modeste puisque fils d’un brassier. Rien à voir avec le brasseur, hein ; le brassier n’avait pour usine que ses bras et vivait du travail qu’on lui donnait le matin même, souvent dans les champs : un journalier, en somme. Il partit donc pour la Bretagne où, cordonnier, il finit par travailler pour l’arsenal de Lorient, s’occupant de chausser les soldats et officiers. Il eut ainsi l’opportunité de se faire un réseau qui fut utile à ses enfants.
C’est ainsi que Léon Prat, jeune, rencontra la famille Caen. Riche famille dont le père considérait le jeune Léon comme un fils. Et le jeune Léon tomba amoureux de la fille. Et elle en pinçait aussi pour lui.
Alors, le jeune Léon demanda à M. Caen s’il pouvait se fiancer avec sa fille. Ce fut un refus net. Malgré toute l’affection de M. Caen pour Léon Prat, il ne pouvait déroger à une règle ancestrale : le mariage entre coreligionnaires. Car les Caen étaient juifs.

M. Caen.

Il s’est passé exactement la même histoire avec le fils de Léon, Marcel Prat, et la fille de cette demoiselle Caen, Charlotte. Amour déçu, encore. Cette dernière épousa un homme juif et ils eurent deux filles. Très tôt veuve, puis remariée à un catholique cette fois-ci, elle vécut une tragédie qui aurait pu l’emporter sans ce second mariage : l’Occupation. Ses deux enfants furent déportées et disparurent dans l’horreur des camps nazis.
Très attachée à Marcel Prat, Charlotte continua pendant bien longtemps de correspondre avec lui. Après la Seconde guerre, elle lui écrivit ceci : « J’ai touché le fond de l’abîme en perdant tous ceux qui m’étaient chers. »

Marcel Prat est mon arrière-grand-père et c’est bien après cette rencontre avec Charlotte qu’il rencontra Mélanie Lefèvre, mon aïeule. Dans un mariage tout à fait arrangé par une marieuse : « La Générale » car épouse du général Ravenez, sa marraine de guerre dont l’époux avait fait Saint-Cyr avec celui qui deviendra son beau-père (ce paragraphe est sponsorisé par Ibuprofène).

Mon arrière-grand-père, Marcel Prat.


La famille

Nous avons vu que Léon Prat et Mathilde Patte ont fini par se marier et sont les parents de Marcel Prat. Ils ont aussi eu une fille Valentine.

Cette dernière, après ses années de pensionnat, revint chez ses parents quelques temps. Son grand-oncle maternel, Ernest Patte, très apprécié, suggéra aux parents de la demoiselle que cette dernière devait peut-être trouver à se marier. Il suggéra un jeune homme, un cousin à eux, Henri Monchicourt. Celui-ci vivait avec ses parents à Milan, où son père a été un temps représentant de la marque Poure et Blanzy (plumes métalliques) pour toute l’Italie. Guère étonnant car ce représentant était le fils de Vincent Monchicourt qui avait fondé une entreprise de plumes métalliques à son nom qu’il arrêta lorsque l’usine fut brûlée durant la Commune. Ils s’y connaissaient en plumes !

A ce moment-là, les Prat vivaient à Amiens (nous étions en 1905). Les parents acceptèrent l’offre de l’oncle Ernest pour faire se rencontrer les jeunes gens. Henri fit donc un voyage Milan-Amiens et trouva la jeune Valentine agréable ; il n’était pas contre l’idée de l’épouser. Après avoir, dans les règles, été autorisé à faire la cour à la jeune fille, la famille décida que ça suffisait et qu’on les marierait au printemps 1906.

Valentine et Henri ne se connaissaient pas et le bref séjour suffit aux familles à décider de l’union. Le mariage ne fut pas malheureux et le couple eut trois enfants. Malgré tout, un petit revers de fortune obligea le couple à quitter l’Italie pour s’installer à Paris. Mariage sans éclat, sans passion et totalement arrangé.

Valentine Prat et son époux, Henri Monchicourt


L’amour qui triomphe !

Parfois, ceci dit, l’amour triomphe ! L’histoire que je vais vous conter, comme les autres, est bien sûr véridique, malgré son côté romanesque.

Elizabeth Prat, sœur de Valentine et Marcel, fille de Léon et Mathilde Patte (vous suivez ?) était l’aînée de la fratrie. Un jour, un cousin désargenté vint rendre visite à la famille : Edmond Carrette. Elle en tomba follement amoureuse et lui tomba follement amoureux de sa cousine. Edmond Carrette alla parler au père de la jeune femme, le très sérieux colonel Prat. Celui-ci refusa net. Il était totalement opposé à cette union.
Pourquoi ?
Parce que le jeune Edmond Carrette était un cousin et un orphelin. Autant je peux comprendre le premier argument, autant le second m’échappe un peu. Ses parents étaient en effet décédés, il lui restait sa grand-mère maternelle, sœur de la grand-mère d’Elizabeth Prat. Cette sœur, Félicie Touillez, née Patte, venait très souvent voir sa sœur Elise à Valenciennes, probablement pour être moins seule et aussi parce que du coup, elle était nourrie et logée à l’œil (ce qui est toujours mieux que de se priver de tout !).
Le père d’Elizabeth refusa ce mariage probablement parce qu’Edmond était trop « juste » financièrement. Il n’était pas pauvre, avait une situation honorable d’employé, mais ce n’était pas suffisant. De plus, Léon Prat estimait qu’Edmond Carrette « n’était pas un homme ». Bref, ça ne passait pas bien du tout.
Elizabeth en tomba malade. Alitée, désespérée, littéralement malade d’amour, son état empirait de jour en jour. Le docteur Woimant vint à son chevet et ne pouvait que constater l’état de la jeune fille. En tant qu’ami intime de la famille, il alla voir le père et lui parla franchement, ne comprenant pas les raisons qui poussait un père à refuser cette union et à laisser sa fille dans un tel état.
Léon Prat prit alors conscience de la situation et probablement aussi de son entêtement. Il autorisa alors officiellement Edmond Carrette à faire la cour à sa fille (sachant qu’ils voulaient déjà se marier, mais bon, le protocole, tout ça…).
Le couple Carrette-Prat se maria en 1906 à Amiens, la même année que le couple Monchicourt-Prat.

Elizabeth Prat et Edmond Carrette

Comme vous avez pu le constater, aimer n’était déjà pas de tout repos. J’ai décidé de limiter cet article, car je compte bien revenir sur le sujet avec d’autres histoires romanesques mais véritables !