samedi 1 septembre 2018

L’anti-généalogie : quand la génétique s’en mêle


Après une longue absence, Sacrés Ancêtres ! revient rien que pour vous, chers lecteurs ! Cela fait 8 ans désormais que le blog existe et il s’en est passé des choses durant toutes ces années dans le petit milieu de la généalogie.

Il y a notamment cette mode de la « généalogie génétique ». Le principe ? Envoyer des échantillons salivaires et recevoir des résultats vous disant de quelles zones géographiques vous êtes originaire.

Dans cet article, je ne chercherai pas à contredire ou à soutenir l’aspect scientifique de ce genre de données. Outre que je ne suis pas biologiste, ça ne m’intéresse pas vraiment. Vous pourrez trouver sur Internet des développements plus ou moins longs là-dessus et aussi beaucoup d’interrogations de personnes qui ont des « interprétations » différentes de leurs résultats suivant les compagnies, ou des frères et sœurs aux résultats différents. Visiblement, il y a un problème lors de l’interprétation des résultats qui peuvent vous dire dans la compagnie A que vous êtes majoritairement nord-africain et dans la compagnie B majoritairement scandinave. Mais admettons que tout cela s’améliore. Est-ce de la généalogie ?

Non.

La « généalogie génétique » n’est pas de la généalogie. Et si vous trouvez un intérêt dans vos résultats, ce ne sera pas un intérêt généalogique.

Pourquoi ? Parce que la généalogie n’est pas une histoire de gènes justement. Déjà, aucune entreprise ne vous fournira d’arbre généalogique, aucune entreprise ne vous fournira de localisation précise, de dates précises et encore moins d’explications sur la vie de vos ancêtres. Mais ça… à la limite…

Le véritable problème de ces tests ADN vient d’une pensée terriblement ancrée dans les populations occidentales depuis un siècle : le scientisme et la biologie comme vérités sur l’être humain. L’être humain a des particularités, comme le langage, la vie en société évoluée, la conscience de soi, etc. N’en déplaise aux antispécistes qui considèrent que la vie d’un humain ne vaut pas plus que celle d’une crevette. Le fait d’être en société et d’avoir des comportements sociaux particuliers par exemple, font que l’être humain ne peut être réduit à sa composante biologique. En gros, le fait de parler, d’écrire sont permis par des aspects biologiques mais ne déterminent pas la « qualité » d’une phrase ou d’un texte. Sinon, on peut mettre sur le même plan biologique la rédaction d’un élève de 5e et l’œuvre de Voltaire. Ils ont cinq doigts à chaque main, les utilisent de telle ou telle façon, etc.

Je vous vois, au fond de la classe en train de vous dire : « Mais quel est le rapport ? »

Le rapport ? C’est la même chose pour la parenté, donc pour la généalogie. On ne peut pas réduire un père à son apport en spermatozoïdes. Le « père » est en cela différent du « géniteur ». Le père est celui qui est reconnu comme tel par lui et par les autres. Parfois il n’est pas le géniteur et d’ailleurs, parfois il le sait et d’autres fois, non.

Quand on fait une généalogie, on se base sur des documents. Et ces documents sont normatifs. Ils servent à établir une nationalité, une parenté, une reconnaissance, servent aussi à donner un nom et à établir une succession. Et le généalogiste, comme l’historien, doit garder un esprit critique face à d’éventuelles falsifications, etc. Mais ça reste marginal. Dans la grande majorité des cas, les registres paroissiaux, d’état-civil, notariés, etc., ne sont pas falsifiés et le croisement de données permet de vérifier cela ou de corriger une erreur (donc non-voulue).

En gros si les documents vous disent que Jean Dupont est fils de Louis Dupont et de Marie Durand, c’est ainsi. C’est ainsi que la société l’a accepté, ce sont probablement les personnes qui ont élevé l’enfant, lui ont donné un nom de famille, etc. Ils ont éduqué l’enfant de telle manière, ce qui a des répercussions sur la manière dont cet enfant élèvera les siens. Du moins, c’est en partie par son éducation familiale que l’on connaît mieux l’ancêtre.

Admettons que demain, vous exhumiez Jean Dupont et son père Louis. Et que vous trouvez que Louis n’est pas le géniteur. Est-ce que ça lui enlève sa qualité de père ? En somme, est-il toujours le père de Jean ? Oui. Car la société, l’État, l’ont reconnu comme tel. On peut chercher le géniteur, notamment pour mieux connaître la mère, voir si le géniteur a eu d’éventuels liens avec l’enfant. Mais ça ne fera pas de lui le père.

La généalogie est une science historique, humaine et sociale. En cela, elle cherche à comprendre le passé. Et si l’on a un doute sur le géniteur, il faut l’exprimer pour les raisons sus-évoquées. Malgré tout, l’aspect généalogique ne change pas. Louis Dupont reste le père de Jean.

Cela peut paraître contre-intuitif. Il faut comprendre que la parenté est faite de normes sociales qui n’ont rien à voir avec la biologie. L’être humain, s’il reste une réalité biologique, se hisse au-dessus en établissant des normes parce que son esprit, parce que la société le permettent. Réduire l’être humain à sa biologie, c’est le déshumaniser. Ainsi, le généalogiste accepte que les parents de l’enfant sont les parents sans se poser la question de savoir si c’est le facteur qui a mis enceinte madame ou si les bébés ont été échangés ou Dieu sait quoi !

Comme je le disais, depuis plusieurs décennies fleurissent les arguments socio-biologiques « naturel » ou « contre-nature ». Le but étant de renvoyer à un ordre « naturel » des choses, ou se basant sur un hypothétique passé. Ces arguments sont stupides. Pendant longtemps, l’État-Civil français nommait le père de l’enfant comme étant le mari de l’accouchée. Et qu’importe si la dame avait 100 amants ou si l’époux était parti en guerre y a un an. Comme vous le voyez, la vraisemblance n’est pas toujours de mise. Mais cela est fait pour des questions de normes sociales, de vie en société. Aujourd’hui, fait-on passer des tests de paternité à chaque naissance ? Non et heureusement.

La parenté n’est pas génétique et ne l’a jamais été. Elle est sociale. Sont les parents ceux qui sont considérés comme tel par les membres de la société, par eux-mêmes et par leurs enfants.

Le discours « biologisant », qui en soi n’a que peu de liens avec la recherche scientifique, tente de rendre tout comportement humain « scientifiquement explicable ». Demandez autour de vous : Pourquoi les mariages incestueux sont interdits ? La réponse ultra-majoritaire sera : Parce que les enfants sont difformes. Outre que ce fait est contestable, les supposées difformités d’enfants n’ont rien à voir. Toutes les sociétés humaines, de tout temps, ont un tabou de l’inceste. Et c’est bien plus probablement lié à une réalité anthropologique que je vous invite à découvrir dans les livres de Lévi-Strauss. On remplace donc une réalité humaine (l’inceste comme un repliement sur sa famille qui empêcherait les alliances, les échanges et qui conduirait à la perte de la cellule familiale, donc comme un mécanisme essentiel de survie d’une famille dans une société) par une pseudo-réalité biologique. On fait la même chose en généalogie où on essaie de remplacer la réalité sociale de la parenté par un discours « naturaliste ».

Pour conclure ce trop long article, je précise que je n’ai rien contre les sciences dites « dures ». Si je ne suis pas très doué dans certaines, je trouve toujours intéressant de lire des publications sur les dernières découvertes ou des ouvrages de vulgarisation. Non, le problème vient de charlatans qui vont vous ouvrir les chakras ou libérer vos fluides animaux mais aussi de personnes, parfois scientifiques doués, qui ont une quête du pouvoir et qui souhaitent ramener toutes les connaissances, tous les faits, dans leur domaine, quitte à déformer la réalité.

La « généalogie génétique » n’a donc aucun rapport avec la généalogie que nous pratiquons. Ce n’est pas non plus une sous-catégorie de la généalogie. Ce n’est pas non plus une branche parallèle reliée à l’Histoire. Ce sont des tests ADN qui peuvent, s’ils sont correctement interprétés, vous dire de quelle vague peuplade vous venez. Peuplade à l’échelle de « la Scandinavie », « l’Afrique du Nord » sans époque précise.

Ça peut être une curiosité amusante, mais ce n’est pas de la généalogie.

7 commentaires:

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  2. Je suis en partie d'accord avec l'article. Complétement en phase sur l'aspect social de notre communauté d'humains. Pour ma part, j'ai toujours fait le distinguo entre le père (au sens biologique qui est qualifié ici de géniteur) et le papa, celui qui éduque et qui participe à faire de son enfant en partie ce qu'il sera plus tard.
    Par contre, le passage sur l'inceste m'a fait bondir. Bien entendu qu'il y a un aspect social extrêmement fort et que les communautés humaines ont de tout temps chercher à se brasser avec leurs voisins, pour les terres et autres alliances. Mais biologiquement, le brassage est aussi nécessaire. Les mariages entre rois et reines de la même famille au cours de notre Histoire suffit à prouver que l'inceste conduit inlassablement à des anomalies génétiques. Si l'Islande aujourd'hui cherche tant des migrants, c'est justement pour profiter du brassage génétique que cela induit.

    Je suis personnellement opposé à la "généalogie génétique", non pour le fait que ce n'est pas de la généalogie, puisque cela permet de retrouver des cousins et en cela, c'est aussi de la généalogie, mais tout simplement que je me refuse aujourd'hui de donner mon ADN à une société américaine contre laquelle je ne pourrais jamais me retourner si elle décidait de changer unilatéralement les conditions du contrat que j'ai passé avec elle.

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  3. Je trouve aussi que les recherches ADN n'ont rien, mais rien du tout, à voir avec la généalogie.
    Pour le reste, le père biologique est tout de même important. Il suffit de songer aux bâtards royaux qui ont parfois fait trembler le pouvoir en place...

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  4. La généalogie génétique est aujourd'hui embryonnaire. Mais elle va se développer, ne vous en déplaise. Pour la raison que de plus en plus de gens vont vouloir retrouver leurs "vraies" racines. Ceci sera d'autant plus vrai que les familles d'aujourd'hui sont de plus en plus compliquées, et qu'il y a, en particulier, beaucoup de familles monoparentales. La généalogie génétique actuelle vend beaucoup de vent. Personnellement, je n'ai pas d'intérêt particulier à savoir quel est mon pourcentage de Burgonde ou d'Egyptien. Je comprends que d'autres aient cet intérêt.
    Je pense néanmoins que la génétique permettra de lever des interrogations sur la réalité de telle ou telle filiation. Certains ont déjà récemment trouvé qui était leur vrai géniteur alors qu'ils étaient nés d'un don de sperme. On pourra peut-être, à terme, compléter ces branches qui s'interrompent à cause d'un "père inconnu". On pourra peut-être aussi passer outre aux dires de ces documents falsifiés qui ont fait passer pour nobles des gens qui étaient d'origine roturière.
    Je trouve dommage d'opposer ces deux démarches. Il faudra peut-être introduire deux pères, le père "civil" et le père "biologique". Ceci contribuerait à enrichir l'histoire de nos familles. Alors laissons cohabiter les deux approches.

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  5. Il manque un aspect essentiel à votre analyse : le test ADN n'a pas pour seul but de se dire que l'on descend de telle ou telle ethnie, on s'en doute un peu et on s'en fout un peu aussi, par contre il peut aider à résoudre une énigme (ou pas) et en trouvant des cousins, car pour moi tout l'intérêt du test est là-dedans. Et ça marche, j'en ai eu un exemple pas plus tard que la semaine dernière, d'une personne qui a retrouvé une cousine américaine via un arrière-arrière-grand-père, donc pas très loin et elles ont échangé des photos qu'elles n'avaient jamais vu.
    Rien que pour ça, le jeu en vaut la chandelle.

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